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    21/05/2025

    Ils en ont même amené un au distributeur automatique

    Quand les policiers rackettent les automobilistes sur l’autoroute

    Par Vincent Victor

    Deux policiers ont extorqué 140 à 800 euros à des automobilistes en Île-de-France, pour éviter la perte de points ou le placement en fourrière. Ils ont fini par se faire coincer, après une première affaire classée en 2022.

    Samy L. ne devait sans doute pas imaginer qu’il mettrait fin à un système, ce 9 avril 2024. Dans la nuit, ce chauffeur de camion de déménagement est arrêté avec un collègue sur le bas-côté de l’A4, au niveau de Noisy-le-Grand (93), par deux policiers motocyclistes qui lui reprochent un excès de vitesse. Mais en lieu et place de l’habituelle contravention de 90 euros, le second agent lui en demande 140, à payer immédiatement et en espèces. Il menace même de lui « mettre la totale » s’il refuse. Samy L. s’exécute et croit faire l’objet d’une vraie verbalisation. Après coup, il doute face au montant et l’absence de récépissé. Il s’en ouvre à des proches. Une connaissance en fonction à la BAC le pousse à porter plainte à l’inspection générale de la police nationale (IGPN). Surtout, il se rend compte qu’un de ses amis conducteur de poids-lourds a vécu des faits similaires, deux semaines plus tôt.

    Le profil des agents est le même, un noir et un blanc. Le contrôle mi-mars vers Rungis est encore plus rocambolesque. Les deux motards lui demandent 800 euros, pour des cartes d’assurance et de contrôle technique périmées apposées sur le véhicule de son patron. Une somme exigée là encore en espèces, au prétexte d’une panne de leur terminal de paiement. Ils vont même jusqu’à accompagner l’homme à un distributeur automatique, et repartent finalement avec 300 euros. Entendu par l’IGPN comme Samy L., le chauffeur poids-lourds reconnaît les deux agents sur une planche photographique : David K. et Valentin A. Ces accusations sont aussi corroborées par le bornage de son téléphone et du second agent à 500 mètres de la banque.

    « Un mode opératoire »

    Ce 15 mai 2025, voilà le duo à la barre du tribunal de Bobigny (93). Face aux questions et aux suspicions du tribunal de l’existence de nombreuses autres victimes, David K., le supérieur hiérarchique de Valentin A., ne se dégonfle pas. « J’ai toujours été un excellent policier », affirme cet agent martiniquais, en fonction depuis dix ans. Ce dernier assure que, dans la deuxième affaire, c’est le conducteur qui lui a proposé de l’argent, par crainte d’être licencié :

    « J’ai déjà fait des contrôles où la personne m’a proposé 1.000 ou 2.000 euros, ça arrive tous les jours. »

    Quant à la raison pour laquelle le fonctionnaire, sans difficultés financières, a accepté ce qu’il présente comme un pot-de-vin, le policier ne « veut pas mentir » au tribunal :

    « N’importe qui vient et me donne de l’argent, je dis oui. Même 20 ou 50 euros, je prends quand même. »

    « Deux fois, c’est parfois une coïncidence; trois fois, c’est un mode opératoire », estime la procureur Fanny Bussac, qui craint l’existence d’autres victimes que l’enquête n’ait pas réussi à révéler. Car les contrevenants, qui ont pu croire à une vraie verbalisation ou sont bien heureux d’avoir échappé à une perte de points, sont peu enclins à dénoncer les faits. Un conducteur pakistanais, auprès de qui David K. aurait exigé 50 euros, selon les dires de son collègue, n’a pas été retrouvé. Pour la représentante du ministère public, les racketteurs n’ont surtout pas eu « de chance d’être tombé sur quelqu’un qui a cru qu’il y avait une vraie amende et voulait s’assurer que tout s’était passé normalement ».

    La condamnation

    Les enquêteurs ont également fait le lien avec des dénonciations similaires remontant à 2022 et initialement classées sans suite par le parquet de Créteil. Un automobiliste s’était alors rendu au commissariat de Villepinte (93) à la suite d’un contrôle, toujours le long de l’autoroute A4. Là encore, un binôme de policiers noir et blanc lui avait réclamé 300 euros en liquide et l’avait menacé de mettre son véhicule en fourrière, cette fois au motif de l’installation de pneus différents sur le même essieu. Lorsque l’automobiliste avait ouvert son portefeuille, l’agent « de type africain » – selon le PV d’audition – avait extrait le billet de 50 euros qui en dépassait puis invité à partir sans lui remettre de récépissé. Si David K. et Valentin A., en service ce soir-là, ont rapidement été identifiés, ces derniers nient tout contrôle. De plus, la description physique faite par l’automobilisme d’un homme « grand et avec un bouc » ne correspond pas exactement au second fonctionnaire. Pour ces faits, le duo a bénéficié d’une relaxe partielle faute d’éléments matériels.

    Les deux affaires de 2024 ont cependant été suffisantes pour suspendre David K. et Valentin A. avec une demi-solde à la fin de l’année. À la barre, l’avocat de David K. reconnaît : « Il a pris l’argent, c’est une forme d’extorsion, il doit être condamné pour ça. » Il demande cependant une « condamnation juste » pour son client et la possibilité de travailler dans la sécurité privée. Valentin A. semble quant à lui avoir déjà tourné la page et prépare une formation de « staffeur-ornemaniste » – la décoration du plâtre dans le bâtiment. Son avocat plaide « un rapport quasi-filial » entre lui et son supérieur qu’il a eu la « faiblesse de suivre » et d’avoir « manqué de courage, par crainte des sanctions ou d’être mal vu ». À l’issue de l’audience, Valentin A. et David K. ont été respectivement condamnés à huit et douze mois de prison avec sursis et une interdiction définitive d’exercer le métier de policier. La présidente insiste :

    « Le tribunal ne souhaite pas que vous restiez en fonction. »

    En plus de leur peine aménagée, ils ont été condamnés à payer Samy L. – seule victime à avoir déposé plainte et s’être constituée partie civile – 1.000 euros au titre du préjudice moral.

    _Illustration de Une

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