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    24/11/2022

    Les bons scores de Marine Le Pen leur donnent des ailes

    Agression raciste et homophobie décomplexée dans un McDo d’Occitanie

    Par Victor Mottin

    13 salariés d’un McDo près de Toulouse témoignent de propos racistes et homophobes de certains de leurs collègues lors de l’élection présidentielle et les scores élevés de l’extrême droite. Certains auraient même été agressés.

    « Ils m’avaient attribué un surnom : le “pédé du McDo”. » L’année de son bac, Kameron travaille cinq soirs par semaine au McDo Aucamville (31), au nord de Toulouse. Le 30 juin 2022, exténué par son « horrible expérience » et les propos racistes et homophobes de certains de ses collègues, il démissionne. De son passage, le jeune homme, mineur à l’époque, garde quelques souvenirs marquants :

    « Un manager me questionnait sans arrêt sur ma prétendue homosexualité. Jusqu’au jour où il a demandé à plusieurs de mes collègues si c’était moi qui la prenait ou qui la mettait. »

    Kameron est également attaqué sur sa couleur de peau. En cuisine, le soir de la défaite de Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles, l’un de ses collègues étudiant d’origine étrangère lui confie son soulagement de voir le Rassemblement National défait dans les urnes. Cédric (1), sympathisant bleu marine, s’immisce alors dans la discussion. « Il nous a dit de retourner étudier dans notre pays », explique Kameron qui lui aurait rétorqué qu’il était « né en France » avant qu’un deuxième protagoniste assène :

    « Il va falloir arrêter de se victimiser et de se plaindre. Si les nègres comme toi sont parmi nous, c’est grâce aux blancs. »

    Le tournant des élections présidentielles

    L’étudiant est formel : « À partir des élections présidentielles, ça a été la décadence ». Un sentiment partagé par de nombreux salariés ou ex-salariés que StreetPress a interrogés. Au total, 13 personnes témoignent du climat délétère dans le fast-food d’Occitanie. C’est le cas de Rachel (1). La jeune femme, un temps passé par l’établissement avant de le quitter à l’été 2022, explique que « dans le cadre des élections, Cédric et Mélissa (1) ont commencé à dire que, selon eux, le problème en France, c’est l’islam et les Arabes. » Elle ajoute : « On leur a demandé d’arrêter et ils nous ont rétorqués qu’il fallait impérativement voter Marine Le Pen. Suite à cette altercation, des employés se sont sentis libres d’exposer leur idéologie politique d’extrême droite. » Et à Sarah (1), présente durant cette discussion, d’abonder : « Depuis ce moment, on s’est mis à recevoir des menaces verbales de la part de ces personnes. » Même constat chez Adèle (1) qui relate :

    « J’ai commencé à entendre des propos racistes et homophobes aux alentours des élections. Une fois, je discutais avec une collègue de travail du mariage pour tous et Cédric s’est permis de me répondre : “Et pourquoi pas le mariage entre animaux ?” »

    Le 4 mai 2022, dans une lettre que StreetPress s’est procurée, plusieurs équipiers s’adressent à la direction de l’établissement pour dénoncer les discriminations subies. Mais selon Sarah, l’une des signataires, « la direction n’a rien fait. Elle a même soutenu les agresseurs en disant que c’était ma parole contre la leur. » Elle poursuit : « Tout s’est intensifié, jusqu’à ce 28 septembre, vers minuit. »

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    Dans la nuit du 28 au 29 septembre, Sarah a été agressée par Cédric. Elle a porté plainte par la suite. / Crédits : DR

    Agression physique sur le lieu de travail

    Dans la nuit du mercredi 28 au jeudi 29 septembre, alors que Sarah se change dans les vestiaires du McDo, une dispute éclate, au comptoir du restaurant, entre Alex (1), amie de Sarah, et Mélissa, la petite amie de Cédric. Une brouille « sans grande importance » selon des témoins sur place. Alex est du même avis : « Il y a une petite altercation qui commence entre nous, mais rien d’exceptionnel. Il n’y avait pas de débordement. Lorsque Sarah est sortie des vestiaires, elle m’a dit que cela ne servait à rien de continuer le débat. » Mais Cédric, qui observait la scène depuis la cuisine du restaurant, se met à insulter les jeunes femmes. Au téléphone, Alex raconte :

    « Il nous a insultées de “grosses putes”. Puis il m’a dit de : “Rentrer dans mon pays”. Il s’est ensuite adressé à moi en me disant de la fermer et en me menaçant. »

    Le jeune homme se dirige alors vers le comptoir, toujours en proférant des menaces. Instinctivement, Alex se déplace sous les caméras de surveillance, pensant que cela dissuaderait Cédric de la frapper. Encore sous le choc, elle fond en larmes à l’autre bout du combiné :

    « Il se met à me pousser. Il agrippe mon voile (qu’elle portait en dehors de ses heures de travail, ndlr) pour essayer de me le retirer à plusieurs reprises et me donne des coups de poing dans l’épaule. »

    Sarah s’interpose et aurait également reçu des coups avant qu’Alex ne mette également son corps en opposition. C’est à ce moment qu’un manager décide d’intervenir pour ordonner aux deux amies de sortir du restaurant et à Cédric de retourner en cuisine. Dans un mail adressé à la direction le lendemain, l’un des témoins raconte avoir été choqué par la scène et avance :

    « Le fait de travailler à l’avenir avec lui (Cédric, ndlr) me met mal à l’aise étant donné qu’il n’est pas capable de contrôler sa colère, face à une altercation qui n’aurait jamais dû mener à de la violence. »

    Choc et plaintes

    À la suite de cette histoire, les deux femmes portent plainte et se mettent en arrêt. Le médecin du travail a également orienté Sarah vers un psychologue. Dans un courrier que StreetPress a pu consulter, il constate un « choc post-traumatique qui ferait suite à une agression physique au travail par un collègue » et ajoute :

    « Actuellement, elle ne va pas bien sur le plan psychique. »

    De son côté, Cédric affirme à La Dépêche avoir porté plainte contre les deux femmes pour diffamation et harcèlement moral. Contacté via une tierce personne, il n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress. À La Dépêche, il nie les violences et les propos racistes mais concède avoir traité une de ses collègues de « pute ».

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    À la suite de l'agression, Sarah a été orienté par son médecin du travail vers un psychologue. Dans un courrier, il constate un « choc post-traumatique ». « Actuellement, elle ne va pas bien sur le plan psychique. » / Crédits : DR

    Cédric a depuis été mis à pied puis licencié par la direction. « Les faits rapportés sont d’une extrême gravité et n’ont pas leur place dans le restaurant d’Aucamville », indique le franchisé par mail à StreetPress. Pour certains, cet épisode de violence aurait néanmoins pu être évité. Le soir de l’agression, Sarah envoie un mail au directeur adjoint, que StreetPress a pu consulter. Elle détaille : « Ce collègue de travail que nous dénonçons depuis des mois, sur ses agissements et ses propos discriminants et dangereux, n’a jamais reçu de sanctions disciplinaires alors que nous avons tiré le signal d’alarme il y a de ça plus de six mois. » Même son de cloche pour Kameron, qui relate : « À l’époque (lors des élections présidentielles, ndlr), le directeur nous a fait comprendre que si les gens réagissaient comme cela, c’était de notre faute. » Contactés à ce sujet, le franchisé et McDonald’s n’ont pas répondu.

    Un comportement sexiste d’un manager dénoncé

    Ce n’est pas la première fois que la direction ignore les remontées de ses salariés. Depuis plusieurs années, les témoignages s’accumulent pour dénoncer des comportements sexistes et déplacés tenus au sein du McDo Aucamville. Dans la plupart des déclarations recueillies par StreetPress, le prénom d’un manager revient régulièrement. Adèle (1) raconte :

    « Il y avait un manager problématique qui banalisait beaucoup l’utilisation du mot “viol”. Quand il y avait un rush, il disait que c’était un “viol collectif”. Et quand on lui a dit que cela ne se faisait pas, il disait qu’à cause des féministes, on ne pouvait plus rien dire… »

    Neuf femmes interrogées par StreetPress rapportent des propos similaires, comme cette ex-salariée, mineure au moment des faits, qui évoque les « commentaires perpétuels [de ce manager] sur mon corps ainsi que sur mes formes ». Et à Kameron d’ajouter : « Il avait la fâcheuse tendance à décrédibiliser les viols, à les minimiser au maximum. »

    Rachel abonde : « Un jour, il s’est permis de m’expliquer qu’une accusation de viol détruisait plus la vie d’un homme que celle d’une femme. » Il aurait également affirmé :

    « Les filles, vous dites oui au début, après vous dites non. C’est compliqué pour nous les hommes de comprendre. Et après vous allez porter plainte pour viol alors que cela n’en est pas un. »

    Elle poursuit : « Petit à petit, je commençais à avoir la boule au ventre à l’idée d’aller au travail. À chaque fois que je venais en robe, il faisait des commentaires déplacés sur ma tenue. » Epuisée par la situation, Rachel finit par démissionner, avant de revenir pour des raisons financières. « Je me suis dit qu’il s’était peut-être calmé », espère-t-elle alors, avant de déchanter. Ses premières paroles auraient été : « Je suis content que tu sois revenue, car je vais pouvoir de nouveau te voir dans tes belles robes, ça m’avait manqué. » À StreetPress, Rachel soupire :

    « Il faut savoir que durant cet épisode, j’étais très jeune. Je me suis senti dégoûtée, sexualisée… J’avais l’impression d’être mise à nu. »

    Dans la lettre adressée à la direction le 4 mai 2022, plusieurs équipières alertaient pourtant sur la situation. « Nous nous sentons aujourd’hui réduites à notre genre, nous nous sentons réduites à notre sexualité et nous sentons sexualisées par le manager cité. […] Plusieurs équipières sont prêtes à témoigner. » Et d’ajouter : « Nous vous demandons, monsieur le directeur, d’agir en connaissance de cause et de prendre en compte notre difficulté à vivre au sein de l’entreprise. » Emma (1) explique également à StreetPress avoir, lors d’un entretien avec ses supérieurs, rapporté les actes et les propos de ce manager. « Le directeur m’a assuré qu’il prendrait des décisions », se remémore-t-elle.

    En guise de sanction, l’équipe de direction a acté le départ du manager. Mais le board se serait pourtant contenté de muter le manager dans un autre McDo de Toulouse, appartenant au même franchisé. Contactés, ce dernier et McDonald’s n’ont pas répondu sur ce point. Un témoin s’exaspère :

    « C’est vraiment déplacer le problème. D’autres personnes sont en train de vivre ce qu’on a vécu. »

    À StreetPress, la direction promet qu’elle va faire appel à un audit via un « cabinet spécialisé » pour « identifier toutes mesures utiles pour renforcer la sensibilisation et la prévention de tout comportement sexiste, discriminant et raciste ». La com’ explique déjà que l’ensemble des équipes de direction et des managers d’Aucamville ont eu en 2022 une formation sur la prévention de ces comportements.

    Une mobilisation devant le Mcdo

    Face à la situation qu’ils jugent pourtant stagnante, des employés ainsi que des membres de McDroits – collectif de salariés luttant contre les discriminations dans les McDonald’s – ont organisé un rassemblement ce mercredi 9 novembre, devant l’établissement. Dans un communiqué, ils dénoncent un « cauchemar au McDo de Toulouse » entretenu par « le silence complice de la direction ». Les slogans inscrits sur leurs pancartes témoignent de ce climat délétère : « Viens comme t’es sauf si t’es racisée », « Employés racistes, direction complice » ou encore : « Les soutenir, c’est nous faire souffrir. »

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    Le 9 novembre 2022, des employés ainsi que des membres de McDroits ont organisé un rassemblement devant l'établissement. Ils ont dénoncé un « cauchemar » entretenu par « le silence complice de la direction ». / Crédits : DR

    S’ils réclament le licenciement d’un petit groupe de salariés, accusés de tenir des propos racistes, sexistes et homophobes, les manifestants souhaitent également qu’il y ait au sein de l’entreprise des formations sur le harcèlement, ainsi que l’élection de représentants syndicaux.

    Sophie, organisatrice syndicale chez ReAct Transnational, une association luttant notamment contre les injustices sociales liées aux entreprises multinationales, était également sur place. Au micro de StreetPress, elle explique : « Devant l’établissement, il y avait le directeur des marchés et un huissier qui prenait des photos. Quand on a dit que l’on souhaitait prendre un rendez-vous avec le franchisé, on a soigneusement évité de nous donner une réponse », détaille la militante. Avant d’analyser :

    « J’ai fait beaucoup de rassemblements devant des McDo. C’est assez inédit de ne pas être reçu par la direction. Toute l’organisation que McDo met en place pour avoir des salariés efficaces crée une ambiance propice au harcèlement moral. »

    Des conditions de travail éprouvantes

    Sept salariés questionnés par StreetPress mentionnent également des conditions de travail éprouvantes. Adèle explique par exemple que le resto d’Aucamville aurait créé « un statut hybride entre équipier et chef d’équipe ». Elle assure avoir fait « le même travail qu’un chef d’équipe » pour un salaire « seulement supérieur de 15 centimes par rapport à celui d’un équipier classique. »

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    Plusieurs questionnés par StreetPress mentionnent également des conditions de travail éprouvantes. / Crédits : DR

    « Durant les différents shifts (période de travail planifiée, ndlr), mes collègues et moi-même n’étions pas autorisés à nous asseoir ou à rentrer à l’intérieur sous peine de réprimande. Des clients nous demandaient constamment si nous allions bien en voyant nos visages rouges de froid et nos tremblements », renchérit un autre témoin. D’autres évoquent le fait que les supérieurs ne respecteraient pas les horaires prescrits par le médecin du travail pour certains salariés. Certains soulignent même des scènes « intimidantes », comme lorsque le directeur de l’époque, énervé par la (mauvaise) confection d’un hamburger, a ramené le sandwich en cuisine et « lui a mis un coup de poing d’une telle force qu’il s’est explosé en plusieurs morceaux ».

    Le « système McDo »

    En 2020, dans une enquête commune, StreetPress et Mediapart disséquaient le « système » McDo. Déjà, des « dérives sexistes récurrentes » ainsi que le harcèlement au travail, soigneusement organisé, étaient pointés du doigt. Maïlys, l’une des porte-parole de McDroits, étaye : « On s’est rendu compte qu’il y avait des problèmes systémiques dans ces établissements. Chez McDo on se présente comme étant une grande famille. On se tutoie directement, on rentre dans un cadre où tout doit être très friendly… Les barrières ne sont pas mises dès le départ. » Et si McDo a bien mis en place une formation obligatoire sur les violences sexistes et sexuelles, elle souligne que cette dernière consiste en « un simple QCM effectué sur le temps de travail », avant de résumer :

    « McDo, c’est un peu l’argent avant l’humain. »

    « C’était mon premier travail », déplore quant à lui Kameron, amer. « Aujourd’hui, j’ai même plus envie d’imaginer avoir un contrat de travail sous les yeux. » Au McDo, « venez comme vous êtes » n’est décidément plus une option envisageable.

    Le franchisé et le McDonald’s n’ont pas transmis au manager les demandes d’interviews de StreetPress. Nous avons contacté à plusieurs reprises le restaurant où il aurait été muté, sans obtenir de réponses.

    (1) Le prénom a été modifié.

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