La Bénisson-Dieu, Loire (42) – Ce dimanche, comme toutes les semaines, l’église qui trône au centre du village de 417 âmes célèbre les vêpres, une des cinq prières quotidiennes surtout pratiquées par les moines. Au bout d’un moment, le chant grégorien, en partie en latin, s’arrête et une petite quinzaine de trentenaires sortent de l’édifice. Robes longues pour les femmes auxquelles s’accrochent quelques jeunes marmots, costumes pour les hommes, cheveux peignés, barbes parfaitement taillés et chaussures de cuir, le groupe dégage une aura « vieille France ». Si certains s’éclipsent rapidement, pressés par des enfants en bas âge pour qui les vêpres ont été longues, beaucoup s’attardent sur le perron pour discuter. Henri, Odile, François, Marianne et tous les autres ne sont pas consacrés et pourtant ils vivent une vie de communauté religieuse. Ensemble, ils ont décidé de quitter les villes où ils vivaient pour un projet plus grand : fonder un éco-hameau catholique et « vivre l’écologie intégrale à la campagne ».
Rien ne disposait pourtant ces individus à devenir des écolos actifs. Issus de familles catholiques très pratiquantes, l’écologie a le malheur dans leur milieu d’être « un sujet de gauche » et donc peu abordé ou qui fait même carrément office de repoussoir. Odile a par exemple grandi dans une famille de la grande bourgeoisie aux côtés d’un père officier de marine et d’une mère au foyer. Avec un brin d’ironie, elle présente la vision familiale à l’époque :
« C’était José Bové quoi ! C’étaient les mecs à cheveux longs qui vont cramer des MacDo. Pardon pour les mecs à cheveux longs, mais chez moi c’était ça et ce n’était pas jugé comme des positions tenables dans une bonne famille. »
Vacances passées dans les groupes scouts d’Europe, connus pour être plutôt conservateurs, écoles privées catholiques depuis la maternelle et sacrements réguliers, les futurs membres de l’éco-hameau évoluent dans un univers radicalement éloigné de celui des éco-lieux. C’est pourtant le mouvement catho-tradi de la Manif pour tous qui a amené ces croyants à se mettre au vert.
L’éco-hameau après la déconvenue
En 2013 la proposition de loi de François Hollande de légaliser le mariage pour les couples homosexuels bouscule le petit monde catholique. Persuadés de vivre un tournant, voire peut-être même la destruction de la famille selon certains porte-paroles, les catholiques descendent en masse dans les rues. Les habitants de l’éco-hameau n’y échappent pas. Marianne Durano et son époux Gaultier Bès, qui viennent de terminer leurs études à l’ENS de Lyon, ont même co-fondé les « Veilleurs » à cette époque. Un groupe qui privilégiait les sit-in silencieux et les récitations aux manifs et dont les autres co-fondateurs sont Madeleine de Jessey, ensuite fondatrice et présidente du mouvement Sens commun), ou Axel Rokvam, cadre chez SOS Chrétiens d’Orient, association humanitaire d’extrême droite. Odile, autre éco-habitante passée chez les Veilleurs à quelques reprises, estime elle que le « Mariage pour tous » entérinerait une atteinte portée à la famille. Selon elle, cette loi affirme « qu’il n’y a pas de famille idéale, une famille peut avoir toutes les configurations possibles, un éloge de la fluidité, on se quitte et on recommence autre chose, finalement le message c’est que la famille c’est relatif ». Après l’adoption du texte et la déconvenue pour les manifestants catholiques, les futurs membres de l’éco-hameau en retiennent une idée : leur mode de vie et leurs croyances sont menacés. Autour d’un café chez lui, Henri explique que ce serait même « l’alliance avec la création qui est rompue » par le « désordre de la modernité ». Si celui qui a fait le choix d’une vie de célibataire consacré et ses désormais voisins veulent vivre selon leurs principes, ils doivent construire leur propre petite société.
C’est François, auteur d’une thèse en philosophie, qui est souvent présenté comme à l’origine du projet de l’éco-hameau en 2016. Le trentenaire au profil de gendre idéal alterne entre le travail agricole et les cours de philo donnés à l’Ircom de Lyon. Avec son épouse et deux autres couples, ils ont rédigé une charte qu’ils ont ensuite envoyée à tous les évêques de France et de Navarre pour demander un lieu où s’implanter et développer leur propre vision de l’écologie.
Si on leur propose d’abord un monastère, ils finissent par obtenir deux maisons dans le village de La Bénisson-Dieu, qui appartiennent encore à l’Église. Une meilleure façon de s’intégrer « à la vie associative et politique du village », comme écrit dans leur charte, que le lieu isolé. Remplis d’ambitions, les nouveaux projets se sont bousculés au fil des ans : un marché paysan a vu le jour dans le village, François s’est lancé dans l’apiculture et d’autres dans la permaculture, une famille a même lancé un vin « nature » sans aucun additif. Ce « domaine de La Bénisson-Dieu » a même trouvé une place à la table du Pape François lors de son passage en France. Pas mal pour un site qui était surtout connu pour ses ossements appartenant à un animal préhistorique. Au fil des arrivées, l’éco-hameau a pris la forme d’une association de neuf maisons répandues au hasard dans le village de 11 km2, en fonction des achats des nouveaux membres.
« Pour moi, ils ont raté leur intégration »
« Chic, ils vont sauver notre école », s’est dit Alain Godinot, le maire de La Bénisson-Dieu, lors des premières arrivées des familles. L’édile a cependant vite déchanté quand il a appris que les membres de l’éco-hameau avaient apporté dans leurs valises un projet d’une école Montessori, hors-contrat et située… Dans le village voisin. Ce n’est pas la seule fois que des tensions sont nées entre le village et les nouveaux arrivants. Un des projets de l’éco-hameau, « renouveler la vie villageoise », est un autre point de désaccord. « Un bon voisin, c’est celui qu’on n’entend pas. Si tu montres ta présence, on vient te le signaler », regrette Odile, occupée à désherber le devant de sa maison. Elle rajoute :
« À part nous, il n’y a personne dans les rues et tu vexes les gens en disant ça. »
De l’autre côté, Jocelyne (1), une habitante hors-hameau du village, estime que les « enfants qui gambadent posent problème ». Les nouveaux arrivants ont d’ailleurs lancé « un débat sur l’accès des véhicules dans le bourg », se rappelle le maire Alain Godinot, après un incident avec une voiture qui a pilé devant un des gamins, sans conséquences. « Pour moi, ils ont raté leur intégration », confie Jocelyne. Cette dernière évoque enfin le cas de l’église, dont les clefs ont été confiées à des membres de l’éco-hameau, en plus d’une autre famille originaire du village. La très fréquente utilisation de l’abbaye par la communauté a fait naître chez Jocelyne un sentiment de privatisation de l’édifice. « Ils ont viré les gens qui s’en occupaient », exagère-t-elle.
« On ne se retrouve ni chez les écolos ni chez les cathos »
Dans le village, l’éco-hameau tente de remettre au goût du jour certaines anciennes pratiques comme le chant grégorien ou les « prières pour la France ». Une façon d’organiser davantage de temps religieux partagés qu’au sein des villes où les dimanches auraient perdu leur aura sacré selon les habitants. « C’est censé être le jour sanctifié où après la messe, tu ne travailles pas, tu te réjouis avec les autres. Là, on sortait de la messe et les gens rentraient chez eux », pointe Odile. Une soirée à laquelle StreetPress a été invité s’est conclue par la proposition d’Henri de « chanter un petit quelque chose », religieux cela va de soi.
Marianne, qui se présente comme « la gaucho de l’éco-hameau », explique à demi-mots qu’ils « ne se retrouvent ni chez les écolos ni chez les cathos ». À l’image de sa bibliothèque où les Évangiles côtoient les éditions La Fabrique ou des livres sur le féminisme. La première raison ? « Quand tu parles d’écologie, les cathos se crispent », souffle celle qui a pourtant tenté de les intéresser en co-fondant avec son mari Limite, une revue « d’écologie intégrale ». Le canard a repris la pensée du pape François, et a défendu une écologie radicale sur les questions environnementales, proche de la décroissance, agrémentée d’un fort conservatisme. L’équipe a compté des profils comme Eugénie Bastié ou Jacques de Guillebon à sa création mais a fini par froisser « une partie de la droite catholique ». François – le prof’ de philo, pas le pape – s’est étonné que, lors de la Manif pour tous, les participants ne se sont pas interrogés « de savoir en quoi leur propre mode de vie encourageait ce qu’ils dénonçaient. »
Au sein de l’éco-hameau, le libéralisme et les avancées scientifiques sont ainsi autant les causes de la destruction de l’environnement que du dérèglement de la famille. Une vision bien loin des mouvements écologiques comme EELV, GreenPeace ou autre Extinction Rébellion, que Marianne trouve « incohérents » car « toujours les premiers à voter les lois bioéthiques ». François détaille leurs griefs :
« La vision des écolos consiste à être extrêmement conservateur du point de vue de la nature, mais libéral du point de vue des mœurs : je peux changer de sexe comme je le désire, je fais ce que je veux de mon corps. »
Des positionnements réactionnaires
Lui considère que l’écologie va plus loin que les « interactions avec l’environnement », à laquelle elle aurait été réduite. « L’écologie telle que je l’entends regroupe à la fois le lien entre l’homme et la femme, l’éducation des enfants, le travail de la terre, les échanges financiers, la place de Dieu dans le foyer », pense-t-il, attablé dans sa salle à manger. En d’autres termes, les membres de l’éco-hameau se réclament ainsi de « l’écologie humaine », principe mis en avant durant la Manif pour tous par l’Alliance Vita, mouvement antiavortement fondé par Christine Boutin. Une forme d’écologie, « qui s’inquiète de ce qui est bon pour l’homme, de ce que c’est d’être un homme », explique Odile dans son salon dénué de toute décorations, à l’exception de quelques images religieuses. Et qui vise surtout à aborder les questions bioéthiques sous un nouvel angle et présenter le tout comme une défense de la nature, mais surtout de la nature humaine.
Davantage que la défense de l’environnement, c’est plutôt une préservation de la Création divine qui occupe l’esprit de nos catho écolos. Ils mêlent des questions écologiques avec des positionnements très réactionnaires, que ça soit sur la contraception ou l’avortement. Pour François, les contraceptifs chimiques représentent par exemple une pollution au même titre que n’importe quelle autre :
« Si je suis contre le déversement de produits chimiques sur la terre, je dois aussi être contre le déversement de produits chimiques sur la terre qu’est mon corps. »
Odile, elle, va même plus loin : réguler la capacité à enfanter serait une atteinte à la nature. « Comment peux-tu vouloir préserver la vie de la planète en te coupant de l’engendrement », lance-t-elle. Une question qui finit par découler sur le rejet de l’homosexualité avec Henri. Pratique contre-nature car ne permettant pas d’avoir des enfants, il la compare à « un arbre que tu plantes à l’envers et tu attends qu’il pousse ».
Zad de Notre-Dame des Landes et visite de cathos intégristes
Malgré ça, les membres de l’éco-hameau refusent de passer pour des réac’ se cachant derrière l’écologie. La « gaucho » Marianne l’affirme :
« L’écologie n’est pas un prétexte, c’est vraiment très très important pour nous. »
S’ils prêchent pour leur paroisse en direction des autres catholiques, les membres de l’éco-hameau affirment vivre à cheval entre une pratique « pas incompatible avec une certaine sensibilité tradi’ dans l’Eglise » comme le dit Marianne, mais tout en bénéficiant d’une image de cathos progressistes. En cause, en plus de leur intérêt écolo, la tentative de convergence des luttes qu’avait tenté Gaultier Bès avec la Zad de Notre-Dame des Landes, sans succès. Ou leur volonté de s’inscrire dans le mouvement des Colibris, créé par Pierre Rabhi. L’éco-hameau fait d’ailleurs partie de la coopérative Oasis, une initiative portée par l’agriculteur essayiste mort en 2021 qui a pris son indépendance des Colibris il y a quelques années (2). « Les Oasis comme les Colibris portent un projet écologique qui appartient à tout le monde. Mais nous avons des piliers fondamentaux, dont l’un est l’accueil et l’ouverture sur le monde, sans discriminations. S’il s’avère qu’un mouvement ou un collectif va à l’encontre de cela, ils n’ont pas compris nos valeurs », note Isabelle Gentilhomme, coordinatrice des Colibris.
Ces derniers temps, cependant, l’éco-hameau semble avoir abandonné son envie de faire ami-ami avec des mouvements progressistes et se tourne plutôt vers des conservateurs. Il y a huit mois, le philosophe François est intervenu auprès d’Académie Christiana, institut favori de la jeunesse catholique identitaire française visé par une procédure de dissolution, pour une conférence. Et en février dernier, l’éco-hameau a reçu la visite d’un groupe de jeunes volontaires de la section ligérienne de SOS Calvaires, qui entretient des liens étroits avec l’extrême droite, et des cathos intégristes de la Fraternité Saint-Pie X.
(1) Le prénom a été modifié.
(2) Après la publication de notre article, la coopérative Oasis a assuré que l’éco-hameau « ne faisait pas partie » de leurs sociétaires et qu’il n’était « ni financé par la coopérative, ni membre actif du réseau ».
Illustration de Une de Caroline Varon.
Faf, la Newsletter
Chaque semaine le pire de l'extrême droite vu par StreetPress. Au programme, des enquêtes, des reportages et des infos inédites réunis dans une newsletter. Abonnez-vous, c'est gratuit !
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.
Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.
Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.
Je fais un don mensuel à StreetPress
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER