Croix celtiques, « Lorient nationaliste », « La Bretagne aux Bretons »… Sur le campus de l’Université de Bretagne Sud, à Lorient (56), plusieurs murs portent encore les stigmates du passage de militants d’extrême droite. Des antifascistes ont tenté de recouvrir ces symboles et slogans par le « A cerclé » anarchiste. La faculté est devenue, en l’espace de quelques mois, un nouveau terrain de lutte. Dans une Bretagne de plus en plus marquée par l’activisme de groupuscules d’extrême droite, Lorient ne fait pas exception. Dans la cité portuaire, ces derniers mois ont été marqués par une recrudescence d’actes signés par des militants nationalistes.
Le 10 octobre, un groupe de quatre militants d’extrême droite a tenté de perturber une réunion publique des Soulèvements de la Terre organisée au tiers-lieu Le Concept. « C’était purement de la provoc’ car, finalement, ils ne sont pas venus se confronter, c’était surtout une action pour s’afficher », raconte Camille (1) du collectif antifasciste Lorient et environs (CALE), présent ce jour-là. La librairie Fracas a également été prise pour cible à deux reprises, le 12 décembre et le 6 février dernier : un liquide rougeâtre a été aspergé sur la porte d’entrée et des stickers ont été collés sur la vitrine. L’action a été signée La Digue, un groupuscule se présentant comme « nationaliste et royaliste breton », qui s’est constitué en novembre 2024. C’est cette même organisation qui a revendiqué, sur son compte Instagram, une série de tags nationalistes réalisés le 13 février à proximité, une fois encore, de l’université, ainsi que dans un autre quartier de la ville.

Le A cerclé des anarchistes recouvert d'une croix celtique, symbole de l'extrême droite radicale, sur le campus de l'université à Lorient. / Crédits : Maël Galisson
Fin septembre dernier, des tags tels que « OQTF dehors », « GUD » ou « Radicalisez-vous contre la vermine gauchiste », ont été inscrits sur un bâtiment de l’université. Une des inscriptions, « UP on vous voit », ciblait directement le syndicat étudiant l’Union pirate. Dominique (1), de SUD Éducation 56, retient surtout l’agression dont ont été victimes quatre membres de SUD et un adhérent de la CGT, après une journée de mobilisation, en mars 2023. Les syndicalistes ont été gazés à bout portant par trois personnes masquées et cagoulées, une militante de SUD a ensuite été frappée au visage, avant que l’un des agresseurs ne dégaine une arme de poing et menace deux des syndicalistes. Une attaque qui a profondément « traumatisé les camarades » souligne la syndicaliste.
« Pas de fachos dans nos manifs »
« En Bretagne, l’extrême droite était relativement faible jusqu’à récemment, mais l’apparition de Reconquête au moment de la campagne électorale de 2022 a permis de structurer les militants d’extrême droite », observe Viktor (1), membre du collectif antifasciste Morbihan (CAM). « Depuis, les intimidations, menaces et agressions se sont multipliées. » Un constat partagé par Dominique (1), qui déplore « une série d’actes à Lorient à partir de 2023, notamment à la fac ou au lycée Dupuy-de-Lôme ». La syndicaliste fait ainsi référence au rassemblement organisé par La Cocarde et Reconquête contre la venue de l’ONG SOS Méditerranée dans cet établissement, en avril 2023.
« La campagne de Zemmour a suscité de nombreux engagements », remarque également de son côté Camille de la CALE. « Cela étant, on remarque que les militants nationalistes actifs à Lorient se “recyclent” dans des organisations qui changent d’appellation au fil du temps. » L’antifasciste de la CALE note malgré tout « une radicalisation dans leurs actions ».

Deux salles, deux ambiances. / Crédits : Maël Galisson
« Cela a été crescendo au moment des mobilisations contre le projet de loi des retraites », analyse pour sa part Dominique. « On a senti qu’il y avait une présence de plus en plus marquée de militants d’extrême droite dans nos cortèges. »
« On a commencé à afficher qu’on ne voulait pas de fachos dans nos manifs. »
Milice et tags anti-LGBT
Quand éclatent des révoltes à la suite du meurtre de Nahel Merzouk en juin 2023, Lorient, comme d’autres villes (Angers, Chambéry…), voit se constituer une milice agissant aux côtés des forces de l’ordre pour réprimer les manifestants. « Une trentaine de personnes cagoulées sont intervenues pour aider la police, on peut même dire en coordination avec elle, et interpeller des gens », rappelle Viktor du CAM.
« Il y a eu des tabassages de personnes à terre, puis menottées avec des serflex, et remises aux forces de l’ordre. »
Bien que le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, ait admis la participation de militaires dans cette milice, dans une ville portuaire qui abrite près de 4.000 soldats de la Marine nationale, l’affaire n’a entraîné aucune suite judiciaire ou administrative. Viktor conclut :
« On sait désormais qu’il y a, à Lorient, des dizaines de personnes qui peuvent s’organiser et faire la loi, c’est plus qu’inquiétant. »
En décembre 2023, le syndicat étudiant UP, déjà régulièrement menacé via des tags haineux ou racistes sur le campus de l’université, a été une nouvelle fois pris à partie dans un tract intitulé « Comment déglinguons-nous l’Union pirate ? ». Sur le document, au-dessus d’une croix celtique, un QR code renvoyait vers une courte vidéo montrant un individu tirant avec une arme à feu sur une affiche du syndicat. Syndicalistes et antifascistes ne sont toutefois pas les seules cibles de l’extrême droite lorientaise : en avril 2024, des tags « Bzh libre » et « Pas de religion » ont été inscrits sur une mosquée en construction dans le quartier de Keryado. Un liquide inflammable a également été projeté à l’intérieur du bâtiment. En juin dernier, le jour de la Marche des fiertés, les manifestants ont découvert les inscriptions « Touchez pas aux enfants, LGBT violeurs » ou encore « Stop LGBT » sur le parcours du cortège.
Cette présence grandissante de l’extrême droite a modifié certaines pratiques militantes. « Dorénavant, on dit aux camarades de retirer leurs chasubles quand ils sont isolés ou qu’ils quittent la manif, on essaie aussi de partir à plusieurs », explique la syndicaliste Dominique. Ces deux dernières années, il n’est plus rare de voir des militants nationalistes se pointer lors de mobilisations afin d’intimider les manifestants. « On est moins tranquilles qu’avant », reconnaît Viktor.
« On est obligé d’être vigilants et on se pose davantage des questions au niveau de la sécurité des rassemblements. »
Un collectif d’organisations, parmi lesquelles on retrouve le CAM, le CALE et Solidaires 56, appelle à une manifestation « pour une Bretagne ouverte et solidaire », le 2 mars prochain, à Lorient. « L’idée, c’est de construire des mobilisations, d’être visibles et de ne pas laisser de place à ces groupes d’extrême droite », avance Dominique. L’initiative est soutenue par de nombreux syndicats, collectifs antifascistes ou partis politiques à l’échelle régionale. « Tout ce qu’il se passe politiquement, que ça soit au niveau local ou bien international, ça suscite une vraie anxiété », déplore Camille de la CALE. « On s’habitue, ça devient grave, militer permet d’avoir prise sur tout ça. »
(1) Les prénoms ont été changés.
Illustration de Une de Caroline Varon.
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