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Mais le voilà qui se remet à chanter, sur les coups de 23 heures, devant une quinzaine d’âmes. Il déambule parmi elles en minaudant, les enlace tour à tour, interprète des hits de Katy Perry de sa voix aigüe… Rien, de prime abord, ne permettrait de deviner que ce chanteur bisexuel a fait le 10 février 2025, ce que lui et le magazine d’extrême droite Valeurs Actuelles ont baptisé un « coming-out patriote ». Autrement dit, un rebranding complet, « nationaliste et conservateur, presque royaliste », tel qu’il se définit. Désormais, ce fils d’immigrés portugais et brésilien clame pêle-mêle depuis son compte Instagram aux 2,1 millions d’abonnés que le « grand remplacement » n’est pas une théorie complotiste, que les hommes blancs sont oppressés en France et que Donald Trump et Israël sont des remparts contre la barbarie.
Poulain de Bruno Attal
Rien ne le laisserait transparaître, sauf peut-être l’établissement au décor kitsch dans lequel l’ex-célébrité de télé-réalité fait chauffer ses cordes vocales, ce soir-là. L’un de ses propriétaires n’est autre que Bruno Attal, l’ancien syndicaliste policier et candidat du parti Reconquête aux élections législatives de 2022, qui confirme à StreetPress avoir « acheté ce bar sur un coup de tête il y a un an et demi ». Et avoir engagé le chanteur dont il espère produire un single en fin d’année. « J’ai trouvé très courageux ce qu’il avait fait », dit l’ex-flic préféré de la fachosphère, qui connaît par cœur les nouveaux amis de son poulain. Il y a quelques mois, c’est dans son troquet que l’influenceuse identitaire Mila Orriols était venue fêter ses 22 ans, en compagnie de l’homonationaliste Yohan Pawer, également ex-candidat suppléant du parti zemmouriste. Et de Bruno Moneroe.
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Né à Vincennes d’un père dans le bâtiment et d’une mère femme de ménage, Bruno Rua Ferreira, de son vrai nom, rêvait déjà petit de devenir chanteur. Il l’est devenu grâce à sa participation remarquée à La nouvelle star, laquelle lui a ouvert en grand les portes d’un monde fait de notoriété pailletée et d’émissions télévisuelles. En 2012, il a participé aux côtés de Nabilla Vergara à la quatrième saison des Anges de la téléréalité, avant de revenir à sa carrière d’auteur-compositeur, avec un faible succès en tant qu’interprète mais une longévité certaine. « Si je fais le cumul des personnes qui me voient tous les soirs, à la fin de l’année, j’ai rempli un Stade de France », juge-t-il :
« Mais encore aujourd’hui, je dois prouver que je suis quelqu’un, que j’ai une voix, que je suis légitime. »
Faut-il voir dans son soudain engagement à l’extrême droite l’opportunisme d’un artiste en mal de considération, qui chercherait à choquer ou à se dégoter un nouveau public afin de revenir sur le devant de la scène ? « Je ne suis pas en quête de lumière ou de notoriété », jure ce catholique pratiquant obsédé par les musulmans, affirmant qu’on « ne [lui] avait jamais posé de questions sur [s]es convictions politiques » auparavant. Au contraire, soutient-il, sa nouvelle ligne est « une prise de risques qui peut mettre fin à certains contrats » et qui l’aurait privé de plusieurs milliers d’abonnés sur Instagram, où il revendique être « LE chanteur de droite anti-woke ».
« Très surpris » par cette nouvelle identité, l’auteur-compositeur André Manoukian, ancien juré de La nouvelle star, y voit quant à lui bel et bien « un mélange d’opportunisme et de provocation : “Pour exister, je choisis une ligne clivante pour affirmer ma personnalité”. » Le pianiste, qui se dit « catastrophé par la vitesse à laquelle ces idées nauséabondes se répandent », précise par ailleurs que Bruno Moneroe ne parlait pas de ses adhésions politiques lorsqu’il était candidat dans son émission. Manoukian assure qu’il n’aurait pas été convié à la soirée qui a célébré les 20 ans du télé-crochet, diffusée en 2023 sur M6, s’il les avait partagées avant.
Une rencontre avec Marine Le Pen
Reste que le virage a plutôt réussi à Bruno Moneroe, jusqu’ici. En plus d’avoir été invité aux micros du spécialiste de la téléréalité Sam Zirah, des militantes anti-transgenres Marguerite Stern et Dora Moutot, et même de CNews, en l’espace de quelques mois, le quadra n’a perdu aucun de ses gagne-pain. « En général, je fais en sorte que mes patrons soient juifs ou de droite et qu’ils correspondent à mes valeurs politiques, idéologiques », explique-t-il, une étoile de David superposée à la croix de Jésus pendue autour du cou, avant de reprendre mot pour mot la rhétorique du gouvernement israélien.
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Ainsi, bien qu’il n’ait récemment pas été retenu au casting de Starmania – dont il abhorre le metteur en scène Thomas Jolly depuis la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques –, le chanteur va participer à une comédie musicale intitulée Iconissimes. Programmée pour la fin 2026, celle-ci rendra hommage à des femmes ayant « marqué l’histoire du 20ème siècle ». Sans que ne s’inquiètent, pour l’heure, ses producteurs ou futurs partenaires, parmi lesquels pourraient figurer TF1, France Télévisions et l’ambassade en France du Qatar, selon son créateur Max Bismuth. « Je le laisse avec ses idées, je ne parle jamais politique avec lui », évacue rapidement ce dernier.
Grâce à ses prises de position, Bruno Moneroe a aussi pu rencontrer, le 25 mars dernier, l’une de ses idoles : Marine Le Pen. Il a beau lui préférer sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, car « plus dure », il décrit « une grande dame » qui l’a beaucoup impressionné et avec qui il a pris une photo et aurait discuté une heure durant. Au nom de la communication du groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée, où a eu lieu l’entrevue, Ugo Iannuzzi-Falcon confirme à StreetPress « une visite privée » à l’initiative d’un collaborateur parlementaire dont il ne souhaite pas révéler l’identité. Mais il affirme aussi qu’« il ne s’agissait en aucun cas d’un rendez-vous » et que l’échange « informel » n’a duré que « quelques minutes, le temps de la photo ».
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La haine d’abord contre lui-même
Qu’importe ! Désormais vêtu de son tout premier costume-cravate, acheté spécialement pour la cheffe de file du RN, l’influenceur a souhaité lui apporter son soutien, au meeting parisien organisé le 6 avril 2025, après sa condamnation par un tribunal pour détournement de fonds publics (1). Mais il s’est ravisé, craignant d’être « enfariné » ou mêlé à « une bagarre générale » au milieu de laquelle la bombe au poivre qui ne le quitte jamais n’aurait pas eu grand effet. Ce qui ne l’empêche pas de préparer une « contre-manif » avec son « ami intime » Yohan Pawer et le collectif homonationaliste Eros, à l’occasion de la Marche des fiertés, prévue à Paris le samedi 28 juin 2025, comme StreetPress l’a raconté. « C’est une grande première pour lui », commente ce dernier, bien plus coutumier de l’agit-prop. L’ancien candidat suppléant de Reconquête assure que son comparse est « déterminé » et qu’il n’en pourrait plus « de voir le pays sombrer ».
À 41 ans, Bruno Moneroe devrait donc participer à sa deuxième Pride – au sein d’un contre-cortège qui honnit l’idée-même de cet événement –, portant sur ses épaules un étendard israélien à la place du traditionnel drapeau arc-en-ciel. Celui qui raconte être l’ex de Christophe Willem affirme n’« avoir jamais trouvé [s]a place chez les LGBT » : « Pas aimé, pas accueilli, pas soutenu. » Il les accuse maintenant de tous les maux. Il en veut notamment à « l’idéologie trans » et reprend à son compte l’une des paniques morales favorites de l’extrême droite, qui va du RN aux néofascistes. Elle concerne les artistes drags qui « te racontent des histoires quand t’es gamin à l’école, ce qui augmente quand même la probabilité que tu sois un détraqué sexuel plus tard », imagine Moneroe.
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C’est que le chanteur, qui raconte avoir fait face à une réaction très violente de son père lors de son coming-out, se reconnaîtrait presque dans cette description. Chez Sam Zirah, il a attribué sa bisexualité au fait d’avoir regardé, enfant, la série d’animation japonaise Ranma ½, dans laquelle le protagoniste se transforme en fille et en garçon au gré de ses aventures. Il confie sans ciller qu’il aurait préféré être attiré seulement par les femmes :
« C’est une malédiction pour moi d’être bisexuel. J’ai honte d’être un mec qui se maquille, honte de ma part féminine… Parce que mes valeurs et mes racines sont chrétiennes et on ne peut plus nationalistes et conservatrices. Je ne suis pas heureux d’être celui que je suis. »
Pour vivre avec cette haine de soi, Bruno Moneroe semble la rediriger vers l’extérieur, aux côtés de son nouvel entourage avec qui il se verrait bien s’investir en politique :
« C’est la première fois de ma vie que j’ai véritablement une famille. »
(1) Marine Le Pen a fait appel de la sanction. Si elle est présumée innocente, l’exécution provisoire de la sentence décidée par la justice l’empêche de se présenter à une élection jusqu’à l’audience.
Contactés, Christophe Willem, Nabilla Vergara et Sam Zirah n’ont pas répondu aux sollicitations de StreetPress.
Illustration de Une de Caroline Varon.
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