Commissariat de Saint-Denis (93) – « Alors, vous avez interviewé la star ? », lance rigolard le commandant de police. L’officier sait que Rida, gardien de la paix en poste dans son commissariat, s’est créé une petite renommée sur les réseaux sociaux. À ce moment-là, le trentenaire est suivi par plus de 123.000 abonnés sur TikTok et 17.000 sur Instagram. Dans ses vidéos, il vante les mérites de « la nouvelle police de proximité », la Brigade territoriale de contact (BTC) Nord de Saint-Denis :
« Je me suis lancé sur les réseaux parce qu’il n’y avait pas de policiers qui parlaient de leur métier. Tout le monde parlait à notre place et il n’y avait pas de contre-balancier. »
Sourire Colgate, bras musclés et coiffure impeccable, Rida semble être le parfait personnage pour restaurer l’image des forces de l’ordre. Le fonctionnaire originaire du Maroc, défend l’image de la police auprès d’un public majoritairement jeune et issu de quartiers populaires :
« Ma commissaire regarde mes publications. Elle me dit que c’est top ce que je fais, mais que je devrais faire gaffe. »
Rida, policier, a plus de 17.000 abonnés sur son compte Instagram. / Crédits : DR
Le fonctionnaire de police défend sur ses réseaux sociaux l’image de la police. / Crédits : Pauline Gauer
Faire attention à ce qu’il dit, car bien que le gardien de la paix parle ouvertement de ses ressentis sur les réseaux sociaux, il n’est pas ambassadeur officiel de la police. Un rôle qu’il juge « trop protocolaire ». Cela implique qu’il doit – en théorie – respecter un droit de réserve stricte.
Sur ses réseaux sociaux, Rida parle de son métier et même de ses interventions. / Crédits : DR
Sa hiérarchie voit pour l’instant d’un très bon œil ce policier influenceur. En mai 2022, la préfecture de police le met même en scène dans l’une de ses vidéos de communication. Pendant 24 heures, il est suivi par une caméra lors de ses missions afin de promouvoir le métier de policier. Et quand StreetPress demande à le rencontrer, la cheffe du département presse accepte, sous certaines conditions. Certains sujets, comme les violences policières ou le racisme, sont prohibés. Le service presse explique aussi que Rida ne sera pas en mesure de parler de ses publications sur les réseaux sociaux car il n’est pas ambassadeur officiel. Cet article ne doit pas mettre en péril l’image que le jeune policier a réussi à construire :
« Nos institutions ne sont pas vraiment amies. […] Je voudrais m’assurer qu’il ne soit pas pris à son propre piège. »
Et pour s’assurer que StreetPress joue le jeu, la responsable de la presse est à nos côtés tout au long du reportage. Elle note sur son téléphone nos moindres faits et gestes et coupe certaines conversations. Quand StreetPress demande à Rida ce qu’il ressent lorsqu’il entend certaines personnes dire qu’elles n’aiment pas la police, la cheffe du département presse nous coupe net :
« Après, il ne va pas commencer à rentrer dans les détails. Il est là pour raconter son quotidien. »
La responsable de la presse a suivi StreetPress durant tout le reportage. / Crédits : Pauline Gauer
La personne responsable de la presse note aussi sur son téléphone nos moindres faits et gestes. / Crédits : Pauline Gauer
Influenceur
Avec ou sans le contrôle de l’attachée de presse, Rida a bien intégré le discours attendu de lui. Policier par vocation, il a choisi, dit-il, la brigade territoriale de contact pour le terrain et l’échange direct avec la population. C’est d’ailleurs ce que montrent ses réseaux sociaux. Sur TikTok ou Instagram, il se filme avec des enfants pendant une partie de football pour appuyer l’aspect humain de son métier. « Moi, ma guerre c’est de casser les clichés, de montrer que les policiers sont aussi des humains », raconte le jeune homme au regard sérieux.
Au mois de juillet 2022, il a représenté la police lors de l’émission web Kohlantess. Le jeu physique qui s’inspire de l’émission Koh Lanta avait pour thème « Cité contre Police ». On y voit des hommes s’affronter lors d’épreuves comme un match de football ou un combat sur une poutre au-dessus d’une piscine. L’occasion pour le gardien de la paix et ses neuf collègues de regagner en popularité auprès de la jeunesse des quartiers. « Ce genre d’événement nous montre que les mecs de quartiers peuvent s’organiser et que tout se passe bien », affirme Rida :
« Et on peut montrer que nous, les policiers, on rentre partout, on est des humains. »
Ex-danseur
À l’arrière de la voiture, fenêtre baissée, Rida salue les passants. Il leur parle de la pluie et du beau temps, souhaite un « bon appétit » à un homme qui porte des pizzas. Le sourire jusqu’aux oreilles, le policier semble être un héros tout droit sorti d’un film à la The Truman Show.
Issu d'un quartier populaire, Rida semble avoir le profil idéal pour parler aux jeunes. /
Son objectif : redorer l’image de la police de proximité. Et pour cela, il a le profil idéal pour parler aux jeunes. Lui-même est issu du quartier populaire « Neuvième Zone » (9ème arrondissement de Paris) et connaît bien ce milieu-là. Déjà adolescent, il intègre le TN Crew, le groupe de danse de la Sexion d’Assaut. Pendant six ans, le jeune homme parcourra la France en tant que wati-danseur. Une expérience qui lui apprendra « la discipline et le respect de la hiérarchie ».
Le gardien de la paix souhaite redorer l’image de la police de proximité. / Crédits : Pauline Gauer
En parallèle de sa carrière de danseur, Rida devient agent de sûreté ferroviaire à la SNCF puis entre dans la police en 2017.
Pendant son adolescence, Rida intègre le TN Crew, le groupe de danse de la Sexion d’Assaut. / Crédits : Pauline Gauer
Alliance police nationale
Si Rida veut apporter une image bienveillante de la police, il reste un apôtre de la fermeté. Le fonctionnaire est d’ailleurs adhérent du très droitier syndicat alliance police nationale. Sur les réseaux, il affiche sa proximité avec Matthieu Valet : le secrétaire national adjoint du Syndicat indépendant commissaires police, connu pour ses saillies populistes. « Un ami, un frère et un patron que j’estime énormément », pour Rida, sensible à cette ligne sécuritaire. D’ailleurs, dans ses vidéos, une phrase revient fréquemment :
« Proximité ne veut pas dire pas de répression. »
Pendant ses interventions, Rida n'hésite pas à réprimander les jeunes qu'il croise. / Crédits : Pauline Gauer
Près d’un immeuble des quartiers Nord de Saint-Denis, Rida a un peu de mal à contenir son énervement. Un jeune, vêtu d’un bob et d’un t-shirt Rick et Morty, s’amuse à crier dans la rue à l’arrivée de la brigade. Lorsque le policier lui demande ce qu’il fait dehors un jeudi après-midi, le mineur lui répond qu’il n’y a rien à faire ces jours-ci, puisque c’est les vacances. Le policier enchaîne :
« Va travailler non ? Ma mère habite juste là et toi, tu cries en bas de chez elle, en bas de chez les gens. »
Pour lui, ces jeunes de quartiers sont comme « ses petits frères », qu’il se permet de réprimander quand il le faut. « Quand j’arrête quelqu’un ou pendant un contrôle, j’ai tendance à dire aux petits qu’ils prennent la mauvaise direction, qu’ils devraient faire du sport ou quelque chose pour s’occuper », raconte Rida, avant d’ajouter :
« Parfois, je peux paraître un peu dur, mais il faut qu’ils comprennent. »
Quand l’attachée de presse déserte son poste pour une petite pause, StreetPress en profite pour poser les questions interdites. / Crédits : Pauline Gauer
Repos
Vers 17 heures, l’attachée de presse déserte son poste pour une petite pause. StreetPress en profite pour poser les questions interdites. Y a-t-il un problème de racisme dans la police ? « Si le raciste dans la police fait une faute raciste avérée, [il insiste] avérée, il est fini. On le vire », affirme Rida :
« L’institution en elle-même n’est pas raciste. En fait, on a voulu faire croire à un racisme organisé dans la police. Ce n’est pas vrai, sinon je ne serais pas rentré dans la police. T’as vu mon bureau ? Il est multicolore, notre service. »
Rida filtre ses mots, conscient de leur impact au sein de l’institution. Pour autant, il se vante d’avoir une certaine liberté d’expression, compte tenu de la popularité qu’il a obtenue sur les réseaux :
« Moi, j’ai ma posture et je dis ce que je pense. On ne me dicte pas de dire quelque chose. »
Le 2 septembre dernier, alors que certaines de ses vidéos venaient de dépasser le million de vues, il a fermé son compte TikTok. Il est toujours présent sur Instagram, où il est moins suivi.
Quand il répond aux questions de StreetPress, Rida filtre ses mots, conscient de leur impact au sein de l'institution. / Crédits : Pauline Gauer
En septembre dernier, alors que certaines de ses vidéos venaient de dépasser le million de vues, Rida a fermé son compte TikTok. / Crédits : Pauline Gauer
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