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    24/06/2025

    « Rayana a été exécutée par une balle de la République »

    Le combat de la famille de Rayana, tuée d’une balle dans la tête par un policier

    Par Méline Escrihuela , Pauline Gauer

    Le 5 juin 2022, Rayana B. succombait à ses blessures après avoir reçu une balle dans la tête par un policier en plein Paris. Trois ans après les faits, l’annonce du non-lieu a eu l’effet d’une « gifle » pour ses proches.

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    Dans le 18ème arrondissement de Paris, le quartier de Château Rouge s’est tu. L’endroit habituellement animé – lorsque clients et locaux se bousculent, marchandent et crient plus fort que les klaxons des voitures – se recueille, ce jeudi 5 juin 2025. Une minute de silence est observée en mémoire de Rayana B., 21 ans, tuée en juin 2022 par un tir policier en pleine tête, à quelques mètres de là. L’étudiante se trouvait sur le siège passager d’une voiture conduite par Mohamed M. – mis depuis en examen pour refus d’obtempérer – lorsque trois agents de police ont ouvert le feu.

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    Une minute de silence est observée en mémoire de Rayana B., 21 ans, tuée en juin 2022 par un tir policier en pleine tête. / Crédits : Pauline Gauer

    Trois ans après les faits, plus d’une centaine de proches et de militants contre les violences policières, ainsi qu’une poignée de députés France insoumise, ont fait le déplacement malgré la pluie battante. « Ce sont les larmes de Rayana », imagine Aïcha, sa tante, en regardant le ciel. « C’était pourtant notre rayon de soleil. Quand elle rentrait dans une pièce, tout s’illuminait », raconte Halima, 35 ans, sœur de la victime, qui l’a vu grandir « sur ses genoux » :

    « Elle mettait des perruques et voulait absolument nous faire sourire. On nous a privés de ça. »

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    Les proches de Rayana crient pour demander justice. / Crédits : Pauline Gauer

    « Ma cousine a été résumée à un dommage collatéral »

    Sous les parapluies noirs, ces proches enchaînent les accolades et les gestes tendres. Des proches de victimes de violences policières se succèdent pour prendre la parole : Amal Bentounsi – fondatrice du collectif Urgence la police assassine et sœur d’Amine Bentounsi, abattu d’une balle dans le dos en 1999 –, Fatou Dieng – à l’origine du Réseau d’entraide entre famille de victime de violences policières et soeur de Lamine Dieng, mort dans un fourgon de police en 2007, – ou encore Assa Traoré – la sœur d’Adama Traoré, décédé dans la caserne de Persan en 2016 –, sont venues épauler la famille. Samia El Khalfaoui, la tante de Souheil – décédé à Marseille en août 2021 après un refus d’obtempérer – fait quant à elle le décompte : Rayana fait partie des 35 victimes tuées suite à l’élargissement des conditions d’utilisation des armes à feu en cas de refus d’obtempérer entre 2017 et 2022, l’article L435-1 du code de la sécurité intérieure.

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    Des proches de victimes de violences policières se succèdent pour prendre la parole, comme Assa Taroré, la sœur d’Adama, décédé dans la caserne de Persan en 2016. / Crédits : Pauline Gauer

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    Sous les parapluies noirs, les proches de Rayana enchaînent les accolades et les gestes tendres. / Crédits : Pauline Gauer

    Trois ans plus tôt, le samedi 4 juin 2022, autour de 10h45 du matin, Rayana est en voiture, assise devant côté passager, avec son amie Inès sur la banquette arrière. Les deux jeunes filles rentrent de soirée et ont accepté d’être raccompagnées par Mohamed, le chauffeur, et Ibrahima, un autre passager, rencontrés le même jour, selon le récit de la famille. C’est le moment où la Brigade territoriale de contact (BTC) en vélo décide d’arrêter la voiture pour non-port de la ceinture. Le conducteur se soustrait au contrôle, avant d’être bloqué quelques mètres plus loin sur une voie de bus, comme le montre une vidéo versée au dossier que la famille a pu visionner. Il tente de redémarrer quand trois policiers font feu à neuf reprises. Le conducteur est touché. Une balle atteint Rayana en pleine tête. Elle décède le lendemain à l’hôpital de La Salpêtrière.

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    « C’était pourtant notre rayon de soleil. Quand elle rentrait dans une pièce, tout s’illuminait. » / Crédits : Pauline Gauer

    En juin 2022, quand l’affaire est relayée par les médias, le débat porte rapidement sur le comportement du chauffeur, Mohamed M., qui s’est soustrait au contrôle policier. Rayana, la victime, est réduite au rang de « femme objet », selon son cousin Bilal :

    « Ma cousine a été résumée à un décor, pas plus qu’un mobilier urbain. On nous a fait comprendre que c’était un dommage collatéral. »

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    Après sa mort, Rayana a été réduite au rang de « femme objet », selon son cousin Bilal. / Crédits : Pauline Gauer

    C’est Inès, la passagère assise sur la banquette arrière, qui prévient la famille de Rayana du drame. « Elle nous a envoyé un message sur Instagram quand elle est sortie de son audition. On avait passé l’après-midi à se faire du sang d’encre, car ce jour-là, Rayana devait garder ses nièces », se rappelle Halima, sa grande sœur.

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    Halima, la grande sœur de Rayana, au rassemblement du jeudi 5 juin 2025. / Crédits : Pauline Gauer

    Une « enquête bâclée » ?

    Le 5 mai dernier, la famille est avertie du non-lieu : la justice a statué que les policiers ne seront pas jugés. « Pour nous, l’affaire était trop grosse pour passer à la trappe », admet Halima. « Pendant des mois, on avait rendez-vous tous les jours chez l’avocat. C’était un tourbillon, mais le non-lieu ne nous a jamais traversé l’esprit. » Selon l’ordonnance des juges d’instruction consultée par Libération, les tirs des fonctionnaires de police « étaient absolument nécessaires et strictement proportionnés au regard de la situation créée » par le conducteur, « du fait de ses multiples refus d’obtempérer, de sa détermination à se soustraire aux contrôles, du danger objectif qu’il représentait pour les autres usagers de la route (…) et de la menace légitimement perçue par les fonctionnaires de police pour leur vie ». Contacté, l’avocat du policier Thomas B., Maître Lienard, n’a pas souhaité s’exprimer : « Ce dossier est soumis à l’appréciation de la cour d’appel et je n’entends certainement pas en débattre dans la presse avant qu’il ne soit définitivement réglé. »

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    Le 5 mai dernier, la famille est avertie du non-lieu : la justice a statué que les policiers ne seront pas jugés. / Crédits : Pauline Gauer

    L’avocat de la famille, Maître Florian Lastelle, évoque lui une ordonnance de non-lieu « très sommaire », dans laquelle Rayana « n’est même pas mentionnée ». Longtemps restée silencieuse, « afin de respecter le temps de l’enquête », selon leur avocat, la famille pointe désormais une « enquête bâclée ». Elle dénonce l’absence de reconstitution et une autopsie incomplète. « Une reconstitution c’est pourtant le b.a.-ba dans ce genre d’enquête », souligne l’avocat. « C’est moi qui ait envoyé des photos à la juge pour compléter l’autopsie », surenchérit Halima en s’étouffant :

    « La première chose que je ressens dans cette histoire, c’est le mépris. »

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    Nora et Halima se prennent dans les bras. / Crédits : Pauline Gauer

    La famille, persuadée que la trajectoire du tir qui touche Rayana prouve l’intention d’homicide, a fait appel du non-lieu et a lancé une cagnotte pour faire face aux frais judiciaires. « La juge qui a requis le non-lieu, je ne l’ai jamais vue », souffle Nora, la mère de Rayana. En trois années, trois magistrats se sont succédés dans cette affaire. Jusqu’à cette dernière, qui a clos le dossier en quelques mois. La maman attrape la première main réconfortante :

    « J’attendais une convocation. Mais à la place, elle a mis le dossier aux archives. »

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    « La juge qui a requis le non-lieu, je ne l’ai jamais vue », souffle Nora, la mère de Rayana. / Crédits : Pauline Gauer

    Rayana

    Nora a déjà failli perdre sa fille quand elle avait cinq ans. Un problème cardiaque oblige la petite Rayana à être opérée et suivie par un cardiologue jusqu’à ses douze ans. « À chaque fois qu’elle courait, j’avais peur de la perdre », explique Nora. « Et puis enfin, elle a pu courir sans risque », s’illumine-t-elle. Trop peu de temps, pour sa tante Aïcha, qui lance : « Rayana n’a rien vécu. »

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    La fille d'Halima dort avec la peluche Hello Kitty de Rayana. / Crédits : Pauline Gauer

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    Le jour de sa mort, Rayana devait garder ses nièces, se rappelle Halima, sa grande sœur. / Crédits : Pauline Gauer

    La jeune femme voulait partir en Grèce avec sa mère. À la rentrée, elle devait commencer un stage dans le secteur de la petite enfance. « Une semaine avant sa mort, nous avons assisté à un mariage », raconte Aïcha. « Rayana m’a demandé si je voulais bien m’occuper de sa coiffure, le jour où ce sera son tour. Une semaine plus tard, elle était partie. » La tante regarde le ciel, avant de continuer :

    « J’espère qu’elle va se marier là-bas. »

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    Aïcha, la tante de Rayana prend dans ses bras Halima. /

    « Du moment où je l’ai vu dans son lit d’hôpital, j’ai compris que je ne la reverrai jamais debout », se remémore difficilement sa mère. Après les faits, Rayana est prise en charge par les équipes soignantes de La Salpêtrière. Trois policiers auraient empêché les proches d’accéder à la salle de réveil, selon le récit de la famille. « C’est le médecin qui est intervenu en disant : “Là c’est grave”», assurent ses membres. Nora se souvient, dans un filet de voix, des quelques mots du médecin : « Il m’a dit de me préparer à un décès. »

    Bilal, le cousin de Rayana, est en Sicile quand il apprend que Rayana a été touchée par un tir policier. « Au beau milieu d’un théâtre antique, on me parle de la débrancher. J’ai comme un voile noir qui me tombe sur la tête », évoque le garçon dans un murmure : « Encore maintenant, c’est un déchirement de ne pas avoir été auprès de ma famille à ce moment-là. » « Oui, ça a dû être encore plus dur pour toi », le console Halima en le cherchant du regard.

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    Bilal et Mehdi, les cousins de Rayana. / Crédits : Pauline Gauer

    Un famille face au bloc policier

    Depuis le décès de sa cousine, Bilal cogite, relit le dossier de long en large, cherche les incohérences :

    « On a toutes les pièces d’un puzzle, et pourtant, on nous dit que l’enquête n’a abouti à rien. »

    Il a fallu ce désaveu de la justice pour que la famille décide d’élever la voix. « Nous n’avons pas parlé au début de l’affaire, en partie parce que les débats n’ont jamais porté sur Rayana », rappelle son cousin. « On n’avait pas la place pour parler du fond », se désole-t-il. « On avait à peine eu le temps de comprendre ce qui s’était passé, que l’affaire était devenue un sujet politique », abonde Camille, chanteuse et amie de Rayana, désormais coordinatrice du Comité de soutien à la famille « Justice pour Rayana » :

    « Son visage était accolé derrière chaque débat entre syndicats policiers [sur le refus d’obtempérer]. »

    La famille a le sentiment d’avoir été maltraitée par l’institution judiciaire, mais également par les policiers présents lors des faits. « Aucun mot de leur part en trois ans », résument les proches de Rayana. En juin 2024, la famille a rencontré dans le bureau du juge les trois policiers mis en cause. À défaut d’une reconstitution, la justice a procédé à une modélisation en 3D des faits : « Lors de ce rendez-vous, j’ai déclaré qu’ils n’avaient jamais eu aucun mot pour Rayana et pour ma famille. Les policiers n’ont pas réagi », assure Bilal. Nora, la maman, n’a pas souhaité se rendre à ce rendez-vous. « Je veux voir les policiers le jour du procès », espère-t-elle encore : « Car ma fille a été exécutée. »

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    La famille a le sentiment d’avoir été maltraitée par l’institution judiciaire. / Crédits : Pauline Gauer

    Le chauffeur du véhicule, dans un premier temps poursuivi pour tentative d’homicide, doit être jugé en octobre prochain pour refus d’obtempérer et violences aggravées contre les policiers. « Ce non-lieu, c’est une balle de la justice, comme si la balle de la police ne suffisait pas », décrit la famille. « On a l’impression que la Justice n’est pas sur les bons rails. »

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    La famille de Rayana, tuée d’une balle dans la tête par un policier, ne compte pas lâcher le combat. / Crédits : Pauline Gauer