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    20/04/2023

    Un nouveau témoin accuse la police

    Les familles des adolescents « percutés » par une voiture de police demandent « la vérité et la justice »

    Par Mathieu Molard , Camille Polloni

    Les parents des trois mineurs blessés le 13 avril appellent les autorités à « faire toute la lumière » sur les circonstances de l’accident. Un quatrième témoin dit avoir vu la voiture de police « faire une embardée » pour « faire tomber » le scooter.

    Jeudi 13 avril, vers 23h45, Éric fumait une cigarette à son balcon qui donne sur la rue de Bagnolet (Paris 20e), quand il a « entendu une sirène et vu le scooter passer ». Trois adolescents de 13, 14 et 17 ans tentent d’échapper à un contrôle. Une voiture de police les poursuit.

    Éric reprend le récit de la scène qu’il a observée depuis son perchoir situé au dixième étage :

    « J’ai vu la voiture de police faire une embardée pour les faire tomber et j’ai entendu le cri des passagers sur le scooter quand ils sont tombés. »

    L’angle de son balcon ne lui permet pas de voir la suite.

    Après Méline, Almamy et Camille, Éric est le quatrième témoin visuel de l’accident à évoquer une collision volontaire. Il s’est confié à Mediapart et StreetPress, mais ne s’est pas encore manifesté auprès de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), chargée de l’enquête depuis lundi 17 avril. Il a toutefois indiqué vouloir entrer en contact avec l’avocat des familles, Arié Alimi. Pour ce dernier, ce nouveau témoignage démontre une carence dans l’enquête de voisinage qui doit être menée par les policiers après l’accident.

    Salif et Ilan, les deux occupants du scooter en état de témoigner affirment eux aussi que la voiture de police les a volontairement « tamponnés » pour les arrêter. La préfecture de police de Paris, quant à elle, indique que la conductrice a perdu la maîtrise de son scooter « dans des circonstances qui restent à établir ».

    Les conséquences de cette affaire, révélée par Mediapart et StreetPress, sont dramatiques : Safyatou, la conductrice du scooter âgée de 17 ans, est très gravement blessée mais son pronostic vital n’est plus engagé depuis vendredi 21 avril, selon le parquet de Paris. Son petit frère de 13 ans, Salif, touché au foie, a pu quitter l’hôpital mercredi 19 avril. Le troisième passager, Ilan, 14 ans, est légèrement blessé à la jambe.

    Vendredi 21 avril, le parquet de Paris confirme à Mediapart que les trois policiers impliqués dans l’accident ont été placés en garde à vue à l’IGPN. (3) A l’issue de cette garde à vue, l’un des fonctionnaires a été mis en examen pour violences avec arme ayant entraîné une incapacité de travail et faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique. Placé sous contrôle judiciaire, il a interdiction d’exercer l’activité de policier, ainsi que d’entrer en contact avec les victimes et les témoins. (4)

    Jeudi 20 avril, dans un entretien vidéo à Médiapart, la Défenseure des droits Claire Hédon a annoncé s’autosaisir de ce dossier (1).

    À LIRE AUSSI : Une course-poursuite finit en drame : la police accusée d’avoir percuté trois ados sur un scooter

    Les familles prennent la parole

    Dans la matinée, les familles de trois adolescents et leur avocat, Arié Alimi, ont tenu une conférence de presse dans un centre social du 20e arrondissement. Pour l’avocat, les choses sont claires :

    « Il y a eu une chasse. La voiture a mis un coup de volant pour percuter le scooter. C’est une violence policière. Un véhicule de police a percuté violemment des enfants, en sachant que ça pourrait les tuer. »

    Arié Alimi regrette la tendance « indigne » qui vise à « criminaliser » ces mineurs pour des infractions « anodines, qui relèvent de la contravention » : ils étaient trois sur le scooter et l’un d’entre eux, Ilan, ne portait pas de casque, ce que personne ne conteste.

    Amanda, la mère d’Ilan, est très émue. Juste après l’accident, son fils a été menotté et placé en garde à vue pour « complicité de refus d’obtempérer ». Elle raconte avoir été tenue dans l’ignorance sur les circonstances de son arrestation pendant près de 24 heures :

    « On me dit que mon fils a glissé sur un poteau. Personne ne me dit qu’il y a eu un accident de voiture, que mon fils a été projeté. Je m’interroge sur la manière dont on m’a traitée et j’aimerais qu’on nous réponde avec transparence. »

    Elle remercie chaleureusement « tous ces témoins, sans qui nous n’aurions jamais su la vérité ».

    À ses côtés, Lassana, le père de Salif et Safyatou, s’exprime en soninké. Un proche traduit ses propos. Inquiets de ne pas voir les adolescents revenir de la mosquée, leurs parents ont été « prévenus par l’hôpital, à 4h37 du matin », qu’un « accident très grave » s’était produit. Ils se précipitent à leur chevet et y sont encore lorsque le service du traitement judiciaire des accidents (STJA), chargé de l’enquête sur le refus d’obtempérer, passe à leur domicile vers 10 heures. Les policiers les convoquent l’après-midi même. Accaparés par l’état de santé de leur fils et de leur fille, ils ne s’y rendent pas.

    « Beaucoup de nos questions restent sans réponse » regrette Haby, la grande sœur de Safyatou et Salif. « On ne veut pas faire la guerre à la police, on veut juste que la lumière soit faite », ajoute-t-elle, en précisant que toute la famille est « profondément touchée et attristée » par ce qui s’est passé.

    « Salif est sorti de l’hôpital hier, mais émotionnellement il ne va pas bien. »

    « Aujourd’hui on est vraiment en état de choc », résume l’un de leurs cousins, espérant que « la justice soit rendue ».

    À l’invitation des familles des blessés, l’une des quatre témoins est venue livrer son récit aux journalistes. Méline, 37 ans, revient en détail sur ce qu’elle a vu, puis raconté aux policiers chargés de l’enquête et aux journalistes de Mediapart et Streetpress. Elle n’en change pas une virgule. « J’en ai encore froid dans le dos » précise-t-elle, sobre.

    Reprenant la parole, Arié Alimi regrette l’absence de « geste spontané des autorités policières pour informer les familles », mais aussi leur volonté « de dissimuler, de faire détruire des preuves et d’instrumentaliser la procédure » pour « criminaliser les enfants ».

    Émotion dans l’arrondissement

    Invitée par la police à déposer plainte contre la conductrice du scooter, Amanda s’est exécutée mais a retiré sa plainte depuis. « Les policiers ont demandé aux familles de ne pas aller à l’IGPN », ajoute l’avocat, qui attend aujourd’hui du parquet de Paris qu’« une information judiciaire soit ouverte et confiée à un juge d’instruction indépendant ».

    Arié Alimi ignore « si des mesures conservatoires ont été prises » contre les policiers impliqués. « Il est évident qu’il faut les suspendre », a répondu Gérald Darmanin sur France Info vendredi 21 avril, évoquant pour la première fois « une intervention de la police qui n’est pas conforme avec le droit et ce que la déontologie permet » et un « changement de version ». « Je crois comprendre que les témoignages de policiers les premiers jours ne sont pas ceux d’aujourd’hui et qu’ils reconnaissent des gestes qui ne sont pas appropriés », a ajouté le ministre. (2)

    Dans le 20e arrondissement, l’un des plus populaires de Paris, l’affaire suscite une certaine émotion. L’antenne locale de la Ligue des droits de l’homme, ainsi que les députées LFI Danièle Simonnet et Sophia Chikirou, apportent leur soutien aux familles des blessés. Ladji Sakho, conseiller d’arrondissement et cousin de Salik et Safyatou, réclame, lui aussi, « que la lumière et la vérité soient faites ».

    Illustration de Une par Caroline Varon.
    (1) Edit le 20/04/23 : ajout de la déclaration de la Défenseure des droits.
    (2) Edit le 21/04/23 : ajout de la déclaration de Gérald Darmanin sur France Info.
    (3) Edit le 21/04/23 : ajout de la garde à vue des trois policiers.
    (4) Edit le 24/04/23 : ajout de la mis en examen.

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