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    28/02/2013

    « Merci mes cheveux vont bien »

    La vraie vie des rabatteurs pour coiffeurs afros

    Par Côme Bastin , Michela Cuccagna

    Ils campent devant les salons de beauté du 10e arrondissement à Paris en quête de clientes, comme au métro de Château d'Eau. StreetPress vous explique comment ces rabatteurs pour salon de coiffure afros gagnent vraiment leur vie.

    « Hey ma belle, ça ne te dirait pas des tresses », balance en boucle Mokobe en poste devant un des innombrables salons du 10e. Aux aguets, devant des façades remplies de perruques criardes et de photos jaunies, ils sont capables de vous pister sur plusieurs mètres pour vous proposer de vous tresser les cheveux ou de vous refaire les ongles, alors que vous voulez simplement rejoindre des amis à la terrasse d’un des bars bobo de la rue du Faubourg Saint-Denis.

    1– Est-ce que c’est vraiment un métier ?

    Ils sont plusieurs dizaines à essayer d’attirer les clients dans un des nombreux salons de beauté de la rue du Château d’Eau ou du Boulevard de Strasbourg, qui leur reversera en échange une maigre ristourne (de l’ordre de 3 euros) pour chaque prestation décrochée. Mais il s’agit aussi de se serrer les coudes et d’avoir une vie sociale, explique Idriss, en sirotant son jus d’orange. Camerounais d’origine, il est dans le métier depuis 6 ans :

    « Le mot travail est trop lourd. On vient là histoire de, c’est mieux que d’aller voler dans les magasins. *On est entre gens de même culture : un pote amène un pote, je te donne quelqu’un, tu me donnes quelque chose, on s’entraide. »

    2 – Comment ça fonctionne ?

    C’est une sorte de freelance à l’africaine rémunérée au black. Ils peuvent travailler avec les salons de leur choix et décident de leurs horaires. Derrière l’anarchie apparente, le système est bien rodé. À chaque bouche de métro, les boutiques disposent à tour de rôle d’une plage de vingt minutes pour attirer les clients. Chaque groupe de racoleurs est coordonné par un boss qui veille au bon déroulement des opérations et négocie les clauses commerciales avec les salons.

    L’entente commerciale sino-africaine se vérifie ici aussi : les Chinois, qui ont le monopole de la pose d’ongles, participent aussi au système de rétribution. Idriss précise ainsi :

    « Les Chinois font les ongles, les Afros font les coiffures. Mais les Afros qui te proposent les ongles à la sortie du métro t’amèneront toujours chez les Chinois. »

    Répartition ethnique des secteurs d’activité, segmentation horaire des parts de marchés, encadrement hiérarchique des ouvriers : le boulevard de Strasbourg fait décidément concurrence à HEC.

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    A la sortie du métro Château d’Eau, impossible de manquer les coiffeurs. / Crédits : Côme Bastin

    3 – Et ça rapporte de l’argent ?

    Selon les sources, la journée peut rapporter entre 10 et 40 euros. Les conditions de travail sont plutôt rudes : debout par tous les temps, ils essuient refus sur refus de la part de passants qui ne comprennent pas vraiment ces propositions saugrenues.

    Daouda, Ivoirien : « On aborde tout le monde. Pourquoi ? Parce que la coiffure c’est pour tout le monde, de 7 à 77 ans. Mais effectivement c’est dur à vivre. » Looks extravagants ou costume classique, prosélytisme débridé ou invitation polie, toutes les techniques sont bonnes pour réussir à capter le client avant les autres :

    « La clé est dans la manière d’aborder. Mais ça devient difficile, il y a trop de concurrence. C’est plus les mêmes bénéfices qu’avant, y’a trop de monde sur le même créneau. »

    À Strasbourg Saint-Denis, certains guettent ainsi les clientes dans la station de métro pour être les premiers sur le coup.

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    Une bonne adresse pour se faire colorer… en rose. / Crédits : Côme Bastin

    4 – Que font-ils le reste du temps ?

    Contrairement à d’autres communautés du 10e (Turcs, Pakistanais), il ne semble pas y avoir de QG dans le quartier pour se retrouver : « Après le boulot, tu es libre de faire de que tu veux. Si tu veux sauter tu sautes, si tu veux planer tu planes ». Après une journée debout, la plupart rentrent en réalité vite en banlieue une fois les stores des salons fermés. Leurs origines sont très diverses : Côte d’Ivoire, Congo, Mali, Cameroun, Guinée, Sénégal. Ils ont souvent quittés leur vie pour venir tenter leur chance en France.

    Adamar, du Sénégal, était peintre sur vêtements avant d’atterrir ici. Autour d’un café, son visage rayonne lorsqu’il s’imagine reprendre son activité et avoir une vie normale :

    « J’aimerais bien faire autre chose, c’est chiant d’aborder les gens toute la journée alors qu’ils savent très bien ou aller s’ils veulent se faire coiffer.»

    Mais sans papier, il pointe tous les jours de 8h à 20h pour pouvoir payer son petit studio à Vitry.

    5 – Est-ce que c’est légal ?

    Le racolage est interdit et la police n’hésite pas à distribuer des amendes lors des contrôles, fréquents sur le boulevard. D’un montant de 40 euros, elle réduit une journée de travail à néant. Heureusement pour eux, il est difficile de prendre quelqu’un en flagrant délit, et on peut souvent s’en tirer en prétextant être là pour causer entre amis. Certains n’ont pas leurs papiers et prennent des risques plus importants : ils évitent les gestes suspects et prient pour passer entre les mailles du filet. La situation est encore plus précaire pour les femmes qui vendent maïs ou cacahuètes à la sauvette, et doivent fuir à chaque fois que la police patrouille.

    Jointe par StreetPress, la préfecture de police de Paris refuse de s’exprimer sur la question.

    6 – Comment cohabitent-ils avec les riverains ?

    Pas mal d’habitants du quartier sont excédés par l’occupation des trottoirs et les problèmes de propreté qui en découlent. Certains s’organisent en associations ou en groupe Facebook. « Stop aux nuisances 10 » se plaint ainsi de « trottoirs souillés de cheveux » (pourtant difficiles à trouver), de vente illégale de nourriture, ou encore de « la forte présence dans l’atmosphère de composés organiques volatiles toxiques liés aux activités de coiffure» . L’association multiplie les plaintes pour tenter de fermer les salons.

    La situation a pourtant pas mal évolué depuis l’époque où les rabatteurs officiaient carrément sur les quais du métro Château d’Eau. Pour Idriss :

    « Avec l’accord de la mairie il y a eu du mieux. Elle a demandé à ce qu’il y ait de l’ordre, parce que ça dérangeait les gens. Il faut qu’on s’organise car on fait chier les citoyens. Il ne faut pas les empêcher de sortir du métro, il y avait des gens qui faisaient n’importe quoi ici »

    MAP Château d'Eau, c'est où ?

    Beaucoup de rabatteurs ne comprennent pas au juste ce qu’on leur reproche : « On a déjà eu des réunions avec la mairie mais ça n’a rien changé. On est poli, on ne comprend pas en quoi est-ce qu’on gène la voie publique ». La mairie a mis à disposition des balais et poubelles pour que les coiffeurs nettoient la devanture de leurs boutiques.

    No comment du côté de la mairie du 10e. Cependant lors d’une rencontre entre Bertrand Delanoë et les associations de riverains il y a deux mois, le maire du 10e jugeait l’augmentation du nombre de salons et boutiques de beauté « dramatique ». Alphonse Kamene, président de l’Association des Salons de Coiffure et de Beauté Afro du Château d’Eau, déclare lui avoir eu « trop de problèmes avec les riverains » pour continuer le dialogue. Entre les deux conceptions de l’espace public, la communication est donc difficile, voire impossible.

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