« Ils m’ont pris dans la salle des coffres et m’ont dit : “Je vais t’arracher la tête”, “Je vais te taper”… Des menaces directes, quoi », rapporte Mohammed (1) dans un français bancal. Même rengaine pour Habib (1), qui relate très laconiquement son passage aux coffres : « Hier, ils m’ont amené dans la salle pour m’intimider. » « Ils m’ont attrapé et m’ont tapé dans la salle des coffres », témoigne en arabe Ali (1), un jeune marocain. « Les policiers me frappent dans la salle des coffres », répète frénétiquement Usman (1), un jeune retenu qui souffre de troubles psy.
Les témoignages sur la salle des coffres, une pièce qui ne serait pas équipée de caméra de surveillance au centre de rétention de Vincennes (94), s’enchaînent et se ressemblent. Ils sont brefs. « Les gens qui passent par là, ils ont peur de parler », justifie Yousef (1), qui s’est proposé pour traduire les récits de ses co-retenus arabophones. « Ils ciblent les plus faibles : ceux qui sont fragiles psychologiquement, qui ne parlent pas français ou qui n’ont pas d’avocat », liste Bacar (1) au bout du combiné installé dans la promenade du Cra de Vincennes. Yousef plussoie, indigné : « Ceux qui se font taper, ils ne parlent même pas français ! »
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Du côté des associatifs, les histoires autour de la salle des coffres sont bien connues. « C’est une pratique qui a l’air relativement courante depuis environ un an », constate Christine Benoît, de l’Observatoire citoyen du Cra de Vincennes. Elle se rappelle par exemple du récit d’un retenu racontant « qu’il avait été emmené au coffre et tabassé très violemment », après la mort par overdose de médicaments, dans le centre, d’un jeune tunisien en novembre dernier. « Il y a des retenus qui nous en parlent », confirme Justine Girard, coordinatrice juridique de l’Assfam, chargée d’accompagner les retenus de Vincennes dans leurs démarches administratives et leurs dépôts de plainte. Même son de cloche du côté de Maxence (1), du collectif À bas les Cras. Justine Girard assure que ces passages dans la pièce ont donné lieu à des plaintes de retenus, sans pouvoir remettre précisément la main sur celles-ci :
« En quatre années que je suis ici, c’est sûr qu’il y en a eues. »
Le rituel
« Ils tapent les gens là-bas parce qu’ils savent qu’il ne sont pas filmés », chuchote Yousef. Le centre est divisé en plusieurs bâtiments : le Cra 1, 2A et 2B, qui peuvent accueillir jusqu’à 235 retenus. En 2018, 4.504 personnes y ont été placées. Seules quelques pièces échappent au regard des caméras, notamment la salle des coffres. Cette dernière se situe au rez-de-chaussée d’un préfabriqué de deux étages, juste sous la salle des visites. Elle est composée de deux pièces. La première sert notamment à prendre empreintes et photos des nouveaux arrivants. Dans la seconde, les retenus laissent les effets personnels qu’ils ne peuvent pas garder avec eux en détention, mais aussi leur argent et leurs documents administratifs. C’est aussi là qu’ils sont amenés pour ces passages à tabac.
« La salle des coffres, c’est le rituel », lance Bacar. « Quand ils annoncent les noms au micro, tout le monde flippe que le sien sorte. C’est comme si t’allais à l’abattoir. » La vie au centre est ponctuée de convocations : un retenu peut être appelé pour une visite, pour un entretien avec son avocat, pour être remis en liberté… « Vous croyez que vous allez signer une demande de mise en liberté, vous rentrez dans le coffre, la porte se ferme. Et boum, boum, boum. J’ai eu l’occasion de voir ça plusieurs fois », témoigne le Franco-sénégalais de 41 ans, enfermé ici depuis près de deux mois. Yousef s’emporte :
« Dès que tu fais le malin, que t’ouvres un peu la bouche, ils t’emmènent là-bas. Il y a beaucoup de gens qui y souffrent ! »
Les stagiaires ont la main lourde
Les excès de zèle viendraient principalement de la « nouvelle génération » de policiers. En effet, le centre de rétention partage son site avec le centre régional de formation de la police – anciennement l’école nationale de la police de Paris. Il accueille beaucoup de fonctionnaires en formation ou des jeunes tout juste sortis d’école.
Dans la bouche de plusieurs retenus, ce sont ces « jeunes », « les stagiaires », qui leur font « la misère ». Dans la salle des coffres et ailleurs. « Ils nous insultent tout le temps. Des : “Nique ta mère”, “Fils de pute”… Ce n’est pas normal », s’indigne Yousef. « Avec les gradés, on peut parler, il n’y a pas de problème. Mais ils se mettent en retrait et permettent aux jeunes de faire tout ce qu’ils veulent », continue-t-il. « Les stagiaires se forment sur les étrangers, ils se font la main sur les plus faibles. (2) », observe Bacar.
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Dans un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté datant de 2010, les auteurs notaient déjà la présence « importante en nombre des jeunes gens sortis d’écoles », et que « les effectifs, composés de jeunes fonctionnaires dont c’est le premier poste, sont manifestement sous-encadrés ». Visiblement en dix ans, rien n’a changé.
Pire qu’à Fresnes
Avant de se retrouver en Cra, Bacar est passé par la case prison. À Fresnes notamment, « la plus stricte au niveau sécurité », relève-t-il. Pourtant, il assure que ce dont il est témoin depuis le début de son séjour à Vincennes dépasse tout ce qu’il a pu voir en taule. « Il y a quelques jours, ils ont pété le bras d’un Roumain. Il a dû attendre deux jours avec l’os cassé avant qu’un médecin le voit et l’envoie à l’hôpital », raconte-t-il.
« On nous gave de cachetons, la bouffe est infecte, on ne peut pas dormir parce que les matons font des rondes toutes les deux heures et entrent dans les chambres, même la nuit… Si je n’avais pas mes enfants ici, je rentrerais direct au Maroc. On nous traite comme des animaux ici », s’insurge Yousef.
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Au début du mois, les retenus de Vincennes ont entamé une grève de la faim pour dénoncer leurs conditions d’enfermement. Une protestation sévèrement réprimée par des passages à tabac ou encore des refus d’accès à l’infirmerie, des réveils à la douche à incendie, et des coupures d’eau, à en croire le collectif À bas les Cras. L’Observatoire citoyen a noté de « nombreuses humiliations de la part des forces de police, pouvant dégénérer rapidement en véritables violences physiques et psychologiques ».
Quelques jours plus tard, une partie du centre de rétention a pris feu, forçant le transfert de plusieurs retenus dans les autres bâtiments de Vincennes ou au Cra de Palaiseau (91). Christine Benoît, de l’Observatoire citoyen du Cra de Vincennes, s’inquiète d’une « tension qui monte crescendo » depuis l’allongement de la durée maximale de rétention à 90 jours. Elle craint qu’un événement similaire ne se reproduise dans les jours à venir.
Contactée par StreetPress, la préfecture de police n’a, à ce jour, pas répondu à nos questions.
(1) Les prénoms ont été modifiés
(2) Edit le 19/02 à 23h50. Initialement il était fait mention d’épaulettes vertes. Nous avons réécouté l’enregistrement de cette interview, la phrase n’apparait pas. C’est une erreur de prise de notes que nous corrigeons. Merci à ceux qui nous l’ont signalé.
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