« Même si on a peur des contrôles, il faut continuer de travailler. » En selle sur son scoot’, Mahamadou (1) n’a pas arrêté de rouler depuis le début du confinement. Et pour cause: son salaire de livreur, entre 150 et 300 euros les bonnes semaines, partagé en partie avec la personne dont il squatte le compte, constitue sa seule rentrée d’argent. Moussa (1) est dans la même situation. « Ça représente mon seul revenu. Si j’arrête, je fais comment ? J’ai un loyer à payer, je ne peux pas. On essaie de faire les choses bien, mais c’est compliqué », concède-t-il. Mahamadou et Moussa sont tous les deux livreurs et sans-papiers. Ils font partie des rares coursiers en situation irrégulière à continuer leur activité pendant le confinement.
« Les contrôles d’attestation s’accompagnent d’une vérification d’identité. C’est quelque chose qui fait peur aux livreurs sans-papiers. Ils ont quasiment tous arrêtés à cause de ça », constate Jean-Daniel Zamor du Clap, un collectif parisien militant pour les droits des livreurs autonomes. Pour un travailleur sans-papier, un contrôle d’identité peut conduire à une interpellation, suivie d’une retenue de maximum 24h pour vérification d’identité, et dans le pire des cas un placement en Centre de rétention administrative (Cra). Ce qu’ignorent de nombreux sans-papiers, c’est qu’en réaction à l’épidémie, l’État a fermé les frontières, ce qui empêche les expulsions.
Mais la peur de l’interpellation demeure, d’autant que l’État continue de placer en Cra. « Beaucoup de gens ont arrêté la livraison à cause des contrôles et du risque de se faire embarquer au commissariat », assure Mahamadou. Moussa abonde :
« Les contrôles se sont accentués. Tout le monde flippe. »
En plus des attestations, les livreurs seraient soumis à des « contrôles spécifiques pour vérifier s’ils sont en règle ou non », assure Jean-Daniel Zamor. La préfecture de police dément cibler spécifiquement les livreurs et fait valoir que « conformément à la réglementation liée à l’état de crise sanitaire, tout usager peut être amené à être contrôlé ».
« Je ne suis pas un bandit, je ne fais que travailler »
Mahamadou, qui vit avec son père dans un foyer pour sans-papiers à Belleville, travaille depuis six mois pour des plateformes comme Stuart ou Nestor. De 8h à 23h, il guette sur son téléphone les alertes et part livrer dès que son portable sonne. Jusqu’à présent, cet ancien militant des Gilets noirs a réussi à éviter l’interpellation, contrairement à Moussa, coursier depuis 2017. En novembre dernier, la police le contrôle après qu’il ait grillé un feu rouge. « J’ai eu peur. Je n’avais pas de papier. Alors j’ai donné le blaze de mon cousin, et ils m’ont embarqué au commissariat », rembobine le jeune homme de 25 ans, résident en France depuis une dizaine d’années. Résultat : il passe un mois au Centre de rétention de Vincennes. « Y’avait plein de livreurs comme moi qui s’étaient fait attraper », se rappelle-t-il, entre deux livraisons.
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Ce séjour en Cra, où il raconte s’être fait tabasser par les policiers, lui a laissé un goût amer en bouche. La peur de se faire à nouveau contrôler et renvoyer en rétention ne le quitte pas. « Je ne suis pas un bandit, je ne suis pas un criminel, je ne fais que travailler », s’emporte-t-il. « Alors j’ai pris une avocate pour me faire régulariser. Là, je me suis fait contrôler deux fois, on m’a laissé passer », confie-t-il :
« Je leur dis que je m’appelle Moussa, que j’habite en France depuis 10 ans, que je suis en train de faire les démarches pour me faire régulariser et je leur montre un papier que l’avocate m’a donné. »
De son côté, Mahamadou a sa petite astuce pour passer les contrôles : il baratine avoir oublié sa pièce d’identité chez lui et présente son pass Navigo en plus de son attestation. Jusque-là, c’est passé.
(1) Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.
Photo d’illustration issue de Wikimedia Commons. Crédits : Benoît Prieur – CC-BY-SA
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