Il s’agit de trois documents qui émanent de la préfecture de police de Paris. Sur deux pages, ils listent les consignes de l’institution aux forces de l’ordre pour l’encadrement des rassemblements de Gilets jaunes prévus le week-end suivant. Les deux premiers ont été paraphés de la main du préfet Michel Delpuech, le 1er puis le 7 février 2019. Il annonce un dispositif « renforcé ». Le troisième est signé Didier Lallement, son successeur. Le 22 mars 2019, il promet lui, par écrit, « une stratégie offensive, conçue pour apporter une réponse particulièrement ferme et réactive aux troubles à l’ordre public ».
Si l’accroche des documents diffère, ils comportent ensuite plusieurs paragraphes simplement copiés-collés, d’une fois sur l’autre. Et notamment une série d’instructions visant à « prévenir la venue sur Paris d’individus potentiellement violents ». Dans les trois cas, il est demandé aux fonctionnaires de procéder à des arrestations préventives, ce qui est illégal.
Saisies préventives
Dans le détail, dès 6 heures du matin, des points de contrôles dans les gares ferroviaires et routières mais aussi au niveau des « péages autoroutiers et sur les axes structurants d’Île-de-France » doivent être mis en place. Au programme, contrôles d’identité, fouilles des bagages et des véhicules.
gilets jaunes – arrestation… by Mathieu Molard
Avec trois objectifs : « Identifier les individus faisant l’objet d’une interdiction de se rendre à Paris. » Ce qui n’a rien d’illégal. Mais aussi repérer et saisir les « objets pouvant servir d’armes par destination » – ce n’est pas une arme mais peut être utilisé comme tel, une boule de pétanque par exemple – et interpeller leurs propriétaires. Une consigne à la frontière de la légalité qui fait l’objet de nombreux débats juridiques : est ce qu’une boule de pétanque peut être considérée comme une arme par destination avant d’avoir été lancée ? Selon les tribunaux, la réponse n’a pas toujours été la même. Et la Cour de cassation, qui a le dernier mot, ne s’est pas encore prononcée.
Arrestations préventives
Pire encore, la préfecture demande aux policiers « de détecter et d’interpeller chaque fois que possible les individus au profil de “casseurs” voulant venir dans la capitale pour profiter des rassemblements afin de se livrer à des exactions ». Il s’agit là, purement et simplement, d’arrestations préventive. « Ça n’a aucun sens juridique », s’étrangle l’avocate Camille Vannier :
« C’est, à mon, sens parfaitement illégal ! »
Reste à savoir comment on reconnaît un casseur. Est-ce une affaire de couleur de peau ou de look vestimentaire ? Toutes les interprétations sont possibles et elles sont laissées à l’appréciation des fonctionnaires sur le terrain. « Le terme “profil de casseur” est extrêmement vague et laisse la place à l’arbitraire », soupire Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer Liberté à Amnesty France :
« C’est très grave. Et nous avons documenté le fait que des milliers de personnes ont été arrêtées, et parfois poursuivies alors qu’elles n’avaient commis aucun acte violent [le rapport d’Amnesty sur le sujet sera publié le 29/09], ce qui constitue une entrave au droit de manifester pacifiquement. »
Nicole Belloubet, à l’époque ministre de la Justice, avait à plusieurs reprises nié vigoureusement l’existence de ces arrestation préventive malgré de nombreux témoignages (comme ici sur Mediapart). Ça risque désormais d’être compliqué.
Contactée par StreetPress, la préfecture de police a accusé réception mais n’a pas répondu à nos questions. Nous souhaitions notamment connaître la base juridique de cette consigne.
Document bonus : quand la hiérarchie avait peur de voir les policiers enfiler le gilet jaune
À la veille de l’acte 1 des Gilets jaunes, le directeur général de la police nationale (DGPN) rappelle aux troupes leur devoir de neutralité. En effet, le haut gradé craint de voir les bleus tentés par le « gilet réfléchissant ». On connaît la suite.

Un courrier qui émane directement de la DGPN. / Crédits : DR
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