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    15/11/2021

    On leur réclame aussi jusqu’à 100.000 euros

    Des dizaines d’étrangers mineurs envoyés en prison pour une simple histoire d’âge

    Par Christophe-Cécil Garnier , Marine Joumard

    Depuis 2016, à Montpellier, plus d’une quarantaine de jeunes mineurs isolés, accusés de s’être fait passer pour majeurs, ont été condamnés à de la prison ferme. Une erreur judiciaire car, depuis, leur identité a été confirmée par leurs ambassades.

    « C’était très très dur, j’ai pleuré tous les jours. J’étais avec des gens qui ont commis des crimes, des viols… », lâche Kouadio (1). Cet Ivoirien, né au nord-est d’Abidjan, a encore la voix tremblante. En 2017, il a passé quatre mois enfermé à la prison de Villeneuve-lès-Maguelone, près de Montpellier (34), à seulement 16 ans. Alors qu’il était pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) dans l’Hérault depuis plusieurs mois, en sa qualité de mineur isolé étranger, Kouadio a été arrêté. Il aurait menti sur son identité et son âge pensent les autorités. Pour cette seule raison, ils l’envoient au trou :

    « J’ai été accusé à tort. À Montpellier, je ne suis pas le seul. Plein de jeunes sont dans cette situation. »

    Depuis 2016, une « quarantaine de mineurs isolés ont été condamnés à de la prison ferme », présente Thierry Lerch, co-président de la Cimade Montpellier, une association de solidarité avec les sans-papiers. En résumé : des migrants disent avoir 16 ou 17 ans, l’État 19, et pour cette raison, ils sont condamnés à de la prison ferme, sur la base de tests osseux contestés ou d’examens pubertaires pourtant interdits depuis quatre ans.

    Pendant plusieurs années, le département de l’Hérault s’est en plus constitué partie civile contre ces jeunes migrants, leurs réclamant le remboursement des frais d’accueil engagés. Les montants sont délirants. Basés sur des calculs douteux, ils peuvent atteindre les 100.000 euros !

    Des jeunes « dynamiques et motivés »

    Kouadio est parti de Côte d’Ivoire après la mort de ses parents. Alors qu’il est scolarisé, son oncle préfère le faire travailler dans les champs. « Il m’obligeait, moi je voulais continuer l’école », lance-t-il avec une voix aiguë. Il garde plusieurs traumatismes de son voyage : les cachots libyens et la brutalité des geôliers ou le passage de la Méditerranée vers la Sicile avec 130 personnes dans un seul zodiaque.

    Comme Kouadio, Bakary (1) est Ivoirien. Il est arrivé à Montpellier en mai 2015, à 15 ans. En Côte d’Ivoire, « c’était la misère ». Il ne mange pas tous les jours et perd même son pouce gauche après avoir élagué un bananier avec une machette. Il décide de partir pour se donner une chance dans la vie :

    « Je n’étais pas scolarisé, je ne faisais rien. Je n’avais pas d’avenir. »

    Djibril (1), est Camerounais. Il est arrivé dans l’Hérault à 15 ans également, après quelques mois en Espagne. Ses parents sont morts quand il était jeune et Djibril a commencé à travailler dès ses sept ans dans les champs avec sa grand-mère. Il y cultivait du maïs, des arachides, des oignons ou du sorgho, une céréale cultivée en Afrique ou en Asie.

    Arrivé à Montpellier à deux ans d’intervalles, ces mineurs isolés n’ont « nulle part où aller ». Pour ne pas être dans l’illégalité, Bakary ou Djibril choisissent de se rendre à la police héraultaise. « Je leur ai montré mon extrait d’acte de naissance, ils m’ont envoyé dans un hôtel social, le temps que l’ASE cherche un foyer d’accueil », se rappelle Bakary. Ils sont scolarisés pendant plus d’un an et apprennent à lire et à écrire. « Ce sont des jeunes qui viennent ici pour travailler. Quand on interroge les enseignants, ils en redemandent car ils sont dynamiques et motivés », décrit Thierry Lerch, de la Cimade.

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    « Ce sont des jeunes qui viennent ici pour travailler. Quand on interroge les enseignants, ils en redemandent car ils sont dynamiques et motivés. » / Crédits : Marine Joumard

    Des identités mal retranscrites

    Plus d’un an après son arrivée, Bakary est convoqué puis placé en garde à vue par la police de Montpellier. Kouadio et Djibril, eux, ont vu les bleus débarquer chez eux à 6h du matin. Ils sont arrêtés pour détention de faux documents administratifs et escroquerie au préjudice du conseil départemental de l’Hérault. On leur reproche d’avoir menti sur leur identité ou leur âge.

    Au poste, Kouadio raconte la méprise : lorsqu’il est arrivé en Sicile, les informations qu’il a données n’ont pas été bien retranscrites par les autorités italiennes. Quelques lettres ont été ajoutées à son nom et son prénom. Il est également devenu Malien, né en 1999 (contre 2001). À l’époque, dans son centre pour mineurs, il va voir la direction. « Je leur ai dit que ce n’était pas bon, que j’aimerais que ce soit rectifié. Ils m’ont expliqué qu’il fallait attendre une commission », se souvient-il. Il attend presque quatre mois, avant de partir de l’Italie pour la France : « Je n’étais pas scolarisé et la langue était une barrière, c’était compliqué ». Djibril, lui, confie avoir donné un âge plus important en Espagne. « Quand on est mineur, on nous garde là-bas et on ne peut pas continuer le voyage. Mon objectif, c’était la France. On m’a prévenu que si je donnais mon vrai âge, on allait me retenir. » Une technique utilisée par de nombreux jeunes migrants isolés, selon les observations du Défenseur des droits.

    Pour prouver aux forces de l’ordre leur identité, les jeunes montrent leur acte de naissance, le même qu’ils ont montré à l’aide sociale à l’enfance qui les a reconnus mineurs. « Les policiers ont estimé qu’il était faux », explique Djibril. L’avocat de Kouadio, maître Michaël Ghnassia résume : « Vous avez un document officiel qu’on rejette sans regarder véritablement s’il est vrai ou non. On fait prévaloir des renseignements pris à la va vite par une administration étrangère. »

    Des tests pubertaires illégaux

    Quelques semaines avant leur arrestation, Kouadio, Bakary ou Djibril ont fait des tests osseux, une radio de la main gauche et du poignet qui vérifie le développement des os. Selon le résultat de ces examens, les jeunes n’auraient pas l’âge qu’ils revendiquent. Une preuve supplémentaire pour les forces de l’ordre. La pratique généralisée est pourtant contestée par de nombreuses associations pour son manque de précision, avec une marge d’erreur qui peut aller jusqu’à deux ans. À l’époque, Bakary a 17 ans et demi comme l’attestent ses documents. Seul son test osseux fait croire aux policiers qu’il ment sur son identité :

    « Les résultats disaient que j’avais 19 ans et demi. Les policiers disaient que je ne m’appelais pas Bakary, ils écrivaient X à chaque fois. »

    StreetPress a d’ailleurs découvert qu’en plus de ces tests osseux, certains jeunes ont subi des examens pubertaires au sein du CHU de Montpellier. Les enfants devaient se mettre nus devant les médecins, qui vérifiaient la dentition mais aussi les seins des filles et les testicules des garçons. « Sur le coup, je ne me suis pas rendu compte mais, en y repensant, c’était l’humiliation totale. C’était l’horreur », souffle Bakary. Une pratique interdite par la loi depuis 2016 et qui a pourtant continué dans l’Hérault jusqu’en 2020. Ces examens illégaux ont pris fin à la suite de l’action du Défenseur des droits.

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    StreetPress a d’ailleurs découvert qu’en plus de ces tests osseux, certains jeunes ont subi des examens pubertaires au sein du CHU de Montpellier, une pratique interdite par la loi depuis 2016 et qui a pourtant continué dans l’Hérault jusqu’en 2020. / Crédits : Marine Joumard

    Un département qui porte plainte

    La situation ne s’améliore pas au tribunal où les mineurs isolés découvrent que le département de l’Hérault a déposé plainte et s’est constitué partie civile contre eux. Comme l’identité des jeunes est contestée, le conseil départemental estime que les migrants l’ont arnaqué. Après l’accueil, le département sort la calculette : la prise en charge éducative est estimée à 284 euros par jour et l’hébergement à 56 euros. Le problème, c’est que cette somme « est évaluée n’importe comment », explique Thierry Lerch de la Cimade Montpellier :

    « Les chiffres ne correspondent à rien. »

    Qu’importe pour le département, qui demande selon ce tarif 40.272 euros à Kouadio pour les 198 jours où il a été accueilli. Pour Bakary, c’est 99.968 euros pour 352 jours et Djibril, 43.000 euros. « Je ne pourrais jamais payer ça même en travaillant toute ma vie », s’exclame Bakary.

    Avec d’autres associations, la Cimade mène bataille à coups de communiqués de presse, de contestations et d’appel au Défenseur des droits pour que le département arrête de se porter civile. Ils ont mis des mois à avoir un rendez-vous avec des élus, qui ont finalement arrêté la pratique fin 2018.

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    Au tribunal, les mineurs isolés découvrent que le département a porté plainte contre eux et leur demande des sommes ahurissantes qui peuvent aller de 40.000 à 100.000 euros. / Crédits : Marine Joumard

    Une situation qu’on retrouve dans d’autres départements. Dans le département du Rhône, les poursuites pénales à l’égard de mineurs isolés dont la minorité était contestée « étaient devenues systématiques », retrace Violaine Husson, responsable des questions Genre et Protections chez la Cimade. La cour d’appel de Lyon a mis fin à ces pratiques en annulant toutes les condamnations.

    Mais les poursuites envers les jeunes migrants se sont « intensifiées dans d’autres départements comme la Haute-Garonne, les Pyrénées-Atlantiques, l’Yonne puis l’Hérault », détaille l’associative. Maître Michaël Ghnassia analyse :

    « C’est la triple peine. En plus de la prison et de l’obligation de rembourser, on leur refuse la qualité de mineur alors que les services de l’enfance avaient considéré qu’ils l’étaient bien. Sous prétexte d’une décision judiciaire, on remet tout en cause : leur prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance, la possibilité de rester sur le territoire et de suivre des études. »

    Envoyés dans une prison pour majeurs

    Devant le tribunal correctionnel – et non le juge des enfants –, les mineurs isolés sont condamnés à des peines allant de trois à six mois de prison ferme « même s’ils n’ont aucun casier judiciaire jusqu’au jugement qui statue sur leur majorité », regrette Thierry Lerch de la Cimade. Ils se voient également infliger une interdiction du territoire français de trois à cinq ans. Des peines lourdes alors qu’on leur reproche seulement d’avoir un ou deux ans de plus que ce qu’ils revendiquent.

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    Des dizaines de jeunes mineurs ont été envoyés dans des prisons pour majeurs dans l'Hérault mais aussi d'autres départements : le Rhône, la Haute-Garonne, les Pyrénées-Atlantiques ou l’Yonne. / Crédits : Marine Joumard

    Alors âgés de 16 et 17 ans, Kouadio, Bakary et Djibril sont envoyés à Villeneuve-lès-Maguelone, une prison pour majeurs. Le premier y fait des crises, liées à ce qu’il a vécu en Libye : « Je n’arrivais pas à bouger, je perdais connaissance. » « Mon incarcération ? Ça, je ne pourrais jamais oublier ! Mon premier jour, j’ai passé toute la nuit à pleurer », s’exclame Bakary, qui ne sortait pas de sa cellule :

    « C’était horrible, je ne comprenais pas pourquoi je me retrouvais là. »

    Des mineurs isolés ont fait appel de leur condamnation mais ils ont fait marche arrière après, disent-ils, avoir été influencés par le personnel de la prison, notamment le Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation), à l’image de Kouadio : « L’agent m’a dit que si je continuais de faire appel, j’allais faire toute ma peine de quatre mois. Elle m’a dit qu’il valait mieux me désister. Moi, je ne voulais pas rester ici, je voulais juste sortir de prison au plus vite. » Au téléphone, maître Michaël Ghnassia s’exclame :

    « On lui a mis la pression ! »

    Des Cras et des passeports

    À la fin de sa peine de prison, Kouadio doit être conduit dans un Centre de rétention administratif (Cra) pour être expulsé de France, une pratique courante dans l’Hexagone, qui s’apparente à la double peine. C’est finalement la météo qui lui sauve la mise : alors qu’il doit être transféré le 1er mars 2018, l’Hérault est exceptionnellement touché par la neige. « Il n’y avait pas de circulation. Les gens de la prison m’ont dit que j’avais de la chance et que je pouvais y aller », narre-t-il. Il marche pendant dix kilomètres et deux heures dans le froid jusqu’à Montpellier.

    Bakary, lui, a passé plus d’une semaine dans un Cra. Mais lorsqu’il passe devant une juge des libertés et de la détention (JLD), celle-ci s’aperçoit que l’Ivoirien de 17 ans a demandé un appel qui n’a jamais été pris en compte :

    « Elle a conclu que j’avais été injustement condamné et j’ai été libéré. »

    Quant à Djibril, il n’a pas été emmené dans un Cra à sa sortie de prison. Mais il s’y est retrouvé après un contrôle en septembre 2021. Là-bas, un JLD lui annonce également que sa condamnation est « une erreur judiciaire ». Car entre-temps, Kouadio, Djibril ou Bakary ont obtenu leur passeport auprès des ambassades ivoiriennes ou camerounaises, après avoir été accompagnés par des associations locales comme la Cimade, Médecins du Monde ou le Réseau éducation sans frontières. Bakary souffle :

    « C’est avec les mêmes papiers que j’ai été condamné et que j’ai eu mon passeport. À Montpellier, ils sont dans une volonté de condamner les jeunes. »

    Contacté, le parquet botte en touche et dénonce par mail un exposé « caricatural » des faits. Il explique engager des poursuites pénales « dès lors que l’enquête conclut à une fausse déclaration de minorité ». Circulez, il n’y a rien à voir.

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    Après leur passage en prison, ces mineurs isolés ont été réintégrés dans leur lycée et continuent leurs études. À partir de leurs papiers contestés, ils ont eu des passeports de leurs ambassades et essaient désormais de se régulariser pour inscrire leur avenir en France. / Crédits : Marine Joumard

    Avec cette condamnation, impossible de se faire régulariser

    Après leur passage en prison, ces mineurs isolés ont été réintégrés dans leur lycée. Djibril fait un CAP maçonnerie. Bakary a validé son BTS en enveloppe du bâtiment. Quant à Kouadio, il a eu son bac pro et prépare désormais un CAP en métallerie-soudure. Pendant trois ans après son interdiction de territoire français, il a eu « peur des contrôles ». « J’évitais les gares, les parcs et certains jardins pour ne pas me faire remarquer », raconte-t-il.

    Son principal problème est désormais d’obtenir un titre de séjour. Cette condamnation entache tout son CV et l’empêche de se faire régulariser. Avec maître Ghnassia, Kouadio a porté son dossier auprès de la Cour de révision et de réexamen pour casser la décision, vu qu’il a depuis prouvé son identité. Quatre autres migrants mineurs ont fait de même. Les affaires sont en cours. Thierry Lerch glisse :

    « On espère qu’ils vont gagner, ça ferait jurisprudence. »

    Contacté par deux fois en octobre, le conseil départemental de l’Hérault et Kleber Mesquida n’ont pas répondu aux questions de StreetPress.

    (1) Les prénoms ont été changés.

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