Coudray-Montceaux (91) – Un grand sapin fait de palettes trône devant les grilles de l’usine DPD. Ce 25 décembre au soir, ils sont plusieurs dizaines de travailleurs sans-papiers à fêter Noël sur le piquet de grève. Chacun s’attèle à la décoration de l’arbre de fortune. « C’était un bon moment, on a même reçu des chocolats », sourit Elhadji Dioum, délégué des travailleurs en lutte.
Ils sont 70 manutentionnaires à bosser au tri des colis dans cet entrepôt de l’entreprise DPD, filiale du groupe La Poste. Tous travailleurs sans-papiers et pour la plupart originaires du Sénégal. Ils ne sont pas directement salariés par la filiale de La Poste mais par la société Derichebourg, qui ne fait bosser que des intérimaires. Un sous-traitant de sous-traitant en somme. Ils subissent « des conditions de travail inhumaines » et l’employeur leur refuse les papiers nécessaires à leurs régularisations. Le lundi 15 novembre au matin, accompagnés de représentants du syndicat SudPoste 91, les travailleurs débarquent à l’usine pour planter le piquet de grève.
Trois jours sans manger
« Quand nous sommes entrés sur le site, ils ont voulu nous décourager en fermant les portes », témoigne Elhadji :
« Ils ont coupé l’électricité et bloqué l’arrivée de nourriture. On a ensuite passé trois jours sans rien manger. »
Mais les grévistes ne lâchent pas le morceau. À l’extérieur, les syndicats et la mairie divers droite font pression sur la direction. Après trois jours, cette dernière accepte de laisser passer les bouteilles d’eau, mais toujours pas les vivres. Les ouvriers se lancent alors dans la contrebande. Elhadji raconte :
« Grâce aux camarades qui ont contourné la grille, on a réussi à se nourrir les deux semaines qui ont suivi, mais avec seulement un repas par jour. Tout le monde est ressorti malade et très diminué. »
Le 24 novembre, la société assigne les grévistes devant le tribunal d’Evry. Le juge donne raison à l’entreprise qui demande l’évacuation du site, ce qui les contraint à déplacer le piquet de grève, 15 jours après le début de l’occupation, devant les portes de l’entrepôt.
Des cadences « inhumaines »
Ils ne lâchent pas pour autant l’affaire. Ils dénoncent des conditions de travail intenables. « Ça ressemble presque à de l’esclavage, surtout quand tu es sans papiers », soupire Elhadji. « On fait plus de dix heures de travail par jour pour seulement 30 minutes de pause. On décharge environ sept ou huit camions par jour avec des colis faisant jusqu’à 70 kg ». Adrien, délégué syndical à Solidaire 91 abonde :
« Quand on regarde les performances qui leur sont demandées, c’est de la folie ! La direction leur demande de trier entre 150 et 300 colis par heure alors que pour un postier normal, c’est plutôt entre 50 et 100 colis ! ».
Personne n’assume
Travailleurs et syndicats pointent ensemble « une cascade de sous-traitances ». « Cette situation permet de faire travailler des personnes illégalement sans menacer le grand groupe derrière », soupire Adrien. « Ce système est fait pour ramener des gens qui n’ont pas d’autre choix que d’accepter des conditions de travail indécentes, dignes de l’Europe de l’Ouest d’il y a un siècle. » Seck Oumar abonde :
« Vu qu’on n’a pas de papiers, on n’a pas de droits. Pas le choix, on doit bien nourrir notre famille. »
De son côté, DPD rejette la responsabilité sur la boîte d’intérim et affirme qu’aucun d’entre eux « n’est ou n’a été salarié de la société ». Un argument contestable pour Georgio Stassi, secrétaire de Sud Poste 91 : « C’est évident qu’ils savent très bien ce qu’ils font. Puisqu’ils structurent le travail au sein du site de manière à ce que les colis les plus lourds et les cadences les plus élevées soient affectés à la partie du site exploitée par Derichebourg et donc aux travailleurs sans papiers ». Contactée par StreetPress, la société nie des cadences plus élevées mais admet l’existence de « deux pôles et deux entrées » sur le site.

Aujourd’hui encore, les 70 travailleurs maintiennent toujours le piquet de grève. Ils réclament à leur employeur les documents nécessaires pour demander des papiers en préfecture. / Crédits : Gabriel Gadré
Quant à Derichebourg, la société qui gère cette partie du site, elle réfute l’accusation d’emploi illégal de travailleurs sans-papiers. Et jure ne pas savoir qu’elle n’emploie que des personnes en situation irrégulière. Dur à croire.
Les salariés veulent des papiers
Aujourd’hui encore, les 70 travailleurs maintiennent toujours le piquet de grève. Ils réclament à leur employeur les documents nécessaires pour demander des papiers en préfecture. Ils pourraient obtenir gain de cause. Après avoir manifesté devant la préfecture de l’Essonne, les travailleurs ont été reçus par l’adjoint du préfet qui leur a promis de se pencher sérieusement sur le sujet.
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