« 14 mois que je dors dehors. On va finir par mourir ici », soupire Qarar. Cet Afghan de 24 ans a vécu dans six campements différents depuis son arrivée en France. Ces derniers temps, il alterne entre sa tente sous un pont à Clichy et le campement du parc de la Bergère à Bobigny. Comme lui, Mohammad, Abdullah (1), Amir (1) et Norullah sont des hommes seuls qui ont fui l’Afghanistan. Ces jeunes hommes écument les campements parisiens et de la petite couronne depuis des mois, parfois des années.
S’ils ne sont pas hébergés dans des centres, c’est parce que leur statut ne leur permet pas. Soit parce qu’ils ont effectué une demande d’asile dans un autre pays d’Europe ou qu’ils projettent de le faire en Angleterre. Soit qu’ils ont déjà obtenu le statut de réfugié mais aucune solution d’hébergement et de travail.
Cela fait 14 mois que Qarar est arrivé en France. L'Afghan de 24 ans a depuis tout le temps vécu à la rue, dans six campements différents. / Crédits : Pauline Gauer
Le campement Delphine Seyrig, à la Villette, créé par des Afghans après le départ de plusieurs camps. / Crédits : Pauline Gauer
Une vie d’errance
À l’entrée du parc de la Bergère, à Bobigny, plusieurs Afghans sont assis sur l’herbe, près d’une piste cyclable. Dans le semblant de forêt qui longe la route, ils ont installé fin juin un campement de tentes à l’abri des regards. Au total, une cinquantaine d’hommes seuls survivent dans des conditions de vie dramatiques. Ils viennent du campement du Cheval Noir, à Pantin, démantelé début mai ou de celui de la Marseillaise, dans le 19ème arrondissement de Paris, évacué le 22 juin. Abdullah (1), arrivé en France il y a cinq ans, dormait sur ce dernier lieu depuis des semaines. Ce n’était pas Byzance mais le trentenaire au visage rond avait trouvé un rythme et des habitudes de vie. Sa tente était organisée comme une véritable chambre, avec quelques photos et un semblant de matelas fourni par une association. Des modestes repères qu’on lui a retirés. Dans le campement de Bobigny, il passe ses nuits à même le sol car, lors du démantèlement du précédent camp, le vingtenaire a vu ses effets personnels être emportés avec les autres tentes des résidents par les autorités. Abdullah n’arrive plus à fermer l’œil, entre cauchemars du passé et sa vie d’errance en France, une terre qu’il imaginait « plus accueillante » :
« On n’a pas d’autre choix que d’être ici. On veut seulement dormir. Si on ne dort plus, on va devenir fou. »
La fatigue et le froid ont creusé le visage de ces hommes, sans cesse déplacés depuis leur arrivée en région parisienne. À Bobigny, un ami d’Abdullah est malade depuis quelques jours. « Il est allongé au soleil et il ne répond quasiment plus. Il ne bouge pas », soupire-t-il.
Amir a dû se déplacer comme une soixantaine d’autres exilés afghans jusqu’au campement Delphine Seyrig à la Villette. Une nouvelle fois, le grand barbu doit s’adapter à un lieu qu’il découvre sur place et réorganiser sa tente. / Crédits : Pauline Gauer
Norrulah est arrivé en France en 2019. Au campement Delphine Seyrig, lui et ses comparses n’ont pas de matelas. Leurs couvertures sont rangées dans leurs sacs. Norrulah ne lâche jamais le sien. « Dedans il y a tout, mes souvenirs, mes papiers, tout ce qu’il me reste. » / Crédits : Pauline Gauer
Sans cesse recommencer de zéro
Ce 19 juillet, Amir (1), 26 ans, a dû se déplacer comme une soixantaine d’autres exilés afghans depuis le parc de la Bergère à Bobigny jusqu’au nouveau campement Delphine Seyrig à la Villette. Une nouvelle fois, le grand barbu doit s’adapter à un lieu qu’il découvre sur place. Le soir de leur installation, il pleut des cordes. Les associations Utopia 56 et Pantin Solidaire participent à l’installation du campement sous un pont. Très vite, la tente d’Amir prend l’eau car elle n’est pas recouverte d’une bâche en plastique :
« Nous n’avons pas pu dormir de la nuit. Il y avait de l’eau partout, nos couvertures étaient trempées. »
Au lendemain de l’installation, des passants s’arrêtent pour regarder l’amas de tentes, plusieurs cyclistes se plaignent qu’elles gênent le passage. La mauvaise humeur des riverains risque de provoquer une nouvelle expulsion dans les prochaines semaines. Une fois de plus, le groupe devra se déplacer, poser les tentes sur le trottoir d’un quartier, monopoliser une partie d’un parc pour enfants, sans jamais pouvoir quitter l’espace public.
Des Afghans attendent sur l'herbe du parc de la Bergère, derrière la forêt avec le campement. / Crédits : Pauline Gauer
Des dons de vêtements sont faits au campement de la Villette. / Crédits : Pauline Gauer
La problématique de l’eau
Alors que l’usine Lafarge à côté du campement émet un bruit sourd et aigu, incessant, les associations organisent le campement de Delphine Seyrig : une fontaine d’eau se situe à dix minutes à pied, un accès à des douches devrait être mis en place dans les prochains jours et les voitures de distributions alimentaires peuvent atteindre le campement sans difficulté.
Un « luxe » dont certains sont privés, comme Qarar, jeune afghan arrivé en France en 2021. Le jeune à la casquette rose et noir a installé sa tente avec trois autres personnes à Clichy, sous un pont au bord de la Seine. À l’abri des regards, ils doivent survivre sans les distributions des associations. Qarar raconte :
« À la Marseillaise et à Bobigny, j’avais accès à l’eau. Ici, je suis loin de tout, je dois trouver comment me nourrir, mais j’ai fait ce choix parce que je n’en pouvais plus de dormir sur le sol. »
Les journées sont longues pour le groupe dans l’attente. Certains font la manche dans le métro. D’autres errent dans les rues de Paris en quête d’un peu d’ombre ou de fraîcheur. Plusieurs d’entre eux ont trouvé un petit boulot payé au noir, comme Qarar qui travaille de 8h à 17h sur un marché.
D'autres tentes sont installées sur le pont, à côté du campement Delphine Seyrig, par manque de place. / Crédits : Pauline Gauer
À 24 ans, il rêve d’apprendre le français et d’étudier comme lorsqu’il était en Afghanistan. Il a fui le pays seul avec son sac à dos, dans lequel il garde précieusement son passeport et sa demande d’asile. Dans leur errance, ces hommes sont contraints d’emmener avec eux toutes leurs affaires personnelles. Norrulah, arrivé en France en 2019, dort au campement de Delphine Seyrig dans une tente avec deux amis. Le vingtenaire raconte qu’ici, ils n’ont pas de matelas et que leurs couvertures sont rangées dans leurs sacs « au cas où ». Épuisé, il peine à expliquer :
« Je ne lâche jamais mon sac, je le prends toujours avec moi. Dedans il y a tout, mes souvenirs, mes papiers, tout ce qu’il me reste. Sans mon sac à dos, je ne suis plus rien. »
« Nous ne sommes pas les bienvenus ici »
Selon l’association Utopia 56, le harcèlement des forces de l’ordre serait fréquent sur les campements et squats non autorisés par la préfecture. « Certains m’ont demandé ce matin, très tôt, si la police allait venir et s’il fallait qu’ils prennent leurs affaires avec eux, si elles risquaient d’être réquisitionnées ou volées », raconte Marie-Laure, membre de l’association et présente sur le campement de Delphine Seyrig. En quelques heures, plusieurs équipes de police, de la mairie du 19ème arrondissement et de celle de Paris ont déjà réalisé quelques passages sur le campement. Ils comptent les tentes, font un état des lieux et informent les associations qu’un déplacement devra se faire au plus vite.
Mohammad a 30 ans et est arrivé en France en juin. Il semble traumatisé par les forces de l’ordre après ses premières nuits dehors, dans le parc de la Bergère. « On s’est fait gazer par un policier. J’ai vu certaines personnes qui dormaient ici recevoir des coups. » / Crédits : Pauline Gauer
Mohammad, trentenaire aux épaules larges, est arrivé en France en juin. Il semble traumatisé par les forces de l’ordre. Il raconte ses premières nuits dehors, dans le parc de la Bergère. « La police de Bobigny est venue vers 3h du matin, ils ont pris ma tente et la seule couverture que j’avais », raconte l’homme (2), encore fatigué de sa nuit mouvementée :
« On s’est fait gazer par un policier. J’ai vu certaines personnes qui dormaient ici recevoir des coups sur le corps. »
Ces Afghans sont constamment chassés des parcs et des trottoirs, toujours plus loin de la capitale. Nina (1), membre d’Utopia 56, soupire :
« C’est une politique d’éloignement : toujours déplacer le problème à l’abri des regards, à l’écart de Paris. »
A lire aussi
(1) Les prénoms ont été changés.
(2) Le commissariat de Bobigny a refusé de répondre à nos questions et a nié les violences infligées aux exilés afghans.
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