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    05/09/2023

    « Je ne demande pas grand-chose, juste un endroit où dormir tranquillement et faire mes révisions »

    Moussa et Kanty rêvent d’intégrer l’école et d’un titre de séjour

    Par Clara Monnoyeur

    À Paris, l’association Droit à l’école accueille des mineurs étrangers non accompagnés et non scolarisés. Les jeunes élèves suivent des cours jusqu’à leur entrée à l’école de la République. Reportage à « l’école des sans école ».

    12e arrondissement, Paris – Un tableau à craie noir repose sur un mur bleu ciel. De chaque côté de la pièce, sont accrochées des affiches avec des mots de vocabulaire, des tables de multiplication et les règles à respecter en classe. À première vue, cette salle ressemble à n’importe quelle autre salle de cours. Ce mercredi 30 août 2023, à l’heure où les enfants sont encore en vacances d’été, ici, dans cette école pas comme les autres, trois jeunes garçons sortent d’un cours de français.

    Kanty (1) s’assoit sur un banc à l’extérieur. Il y a quelques mois, le jeune garçon de 17 ans, originaire de Côte d’Ivoire, poussait la porte de ce local, pour son premier cours. Le premier de toute sa vie. « J’étais paniqué », se remémore-t-il en riant. « Je savais parler français, mais je ne savais pas lire et écrire. Je ne pouvais écrire que mon prénom. »

    Sur la porte de sa salle, un dessin réalisé au marqueur noir est accroché. Un poing levé qui tient, entre ses doigts, un crayon de papier. En dessous est inscrit en lettres capitales, dans un cadre noir : « Droit à l’École ». Tout au long de l’année, l’association Droit à l’École permet à une cinquantaine de mineurs étrangers isolés et non accompagnés de bénéficier de cours de français, de mathématiques ou d’anglais. Au sein des locaux de Ground Control, dans cette ancienne halle de tri postal appartenant à la SNCF, des jeunes principalement originaires d’Afrique de l’Ouest ou d’Afghanistan non scolarisés, reprennent confiance et sont accompagnés administrativement pour rejoindre les bancs de l’école de la République et dans leurs démarches de reconnaissance de minorité.

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    Tout au long de l’année, l’association Droit à l’École permet à une cinquantaine de mineurs non accompagnés de bénéficier de cours de français, de mathématiques ou d’anglais. / Crédits : Clara Monnoyeur

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    De la rue à l’école

    Kanty serait arrivé à Paris en décembre ou peut-être un autre mois. Il ne se souvient plus ou ne veut plus se souvenir. « C’était trop difficile », résume-t-il. Ce dont il est sûr, c’est qu’il est arrivé quand il faisait terriblement froid. Sa première nuit dans la capitale, il la passe dans une gare. « Je ne sais même plus laquelle ». Kanty dort dehors, dans la rue, ou dans une tente. Parfois, il trouve refuge au milieu d’un couloir dans un foyer. Les nuits dans la ville lumière sont terriblement sombres et gelées. Il montre ses jambes et son jean troué : « Je portais toujours trois ou quatre pantalons ». Pour manger, il se déplace à l’hôtel de ville de Paris pour bénéficier des distributions de repas délivrés par l’association Utopia56.

    Kanty, parti avec son frère, est arrivé seul à Paris. « Lui, il s’est perdu », explique le jeune garçon à propos de ce frère, qui a disparu petit à petit au fil de son récit. Il laisse planer un silence et reformule : « J’ai perdu mon frère pendant le voyage. » Kanty ne parle pas de décès, comme si au fond de lui, planait encore l’espoir de le retrouver. Son frère était « sa seule famille ». Désormais, plus rien ne le retient dans son pays.

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    Icic, les jeunes mineurs étrangers reprennent confiance et sont accompagnés administrativement pour rejoindre les bancs de l’école de la République. / Crédits : Clara Monnoyeur

    Il assure qu’ici, il peut enfin « se reposer la tête », quelques heures par jour. Selon le baromètre de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), près de 2.000 enfants étaient sans solution d’hébergement en France, cette fin d’été.

    « Ce matin, il y en a encore un qui m’a demandé s’il pouvait prendre sa pause plus tôt, parce qu’il n’avait pas mangé depuis hier midi », raconte Martine, 67 ans, et professeure de français bénévole à l’association. La retraitée a pris l’habitude d’apporter des gâteaux pour ses cours du matin, pour la pause de 11h. Elle poursuit :

    « C’est terrible, ça me fend le cœur. Je me demande comment malgré tout ça, ils trouvent encore l’énergie et le courage de venir en cours avec le sourire. »

    Elle se souvient aussi de ce jeune garçon arrivé seul à 15 ans. « Quand il est arrivé à Droit à l’école, il me disait : “Je veux aller à l’école et travailler. J’ai vu mourir beaucoup de personnes pendant la traversée, je ne suis pas meilleur qu’eux, mais moi je suis vivant.” »

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    Kanty mise tout sur l’école, son inscription au lycée, une formation et espère trouver un travail, pour pouvoir s’en sortir et décrocher à sa majorité, un titre de séjour. Mais ce n’est pas si simple. Lors de son évaluation par les services de l’État français, il s’est vu refuser sa reconnaissance de minorité. Un statut qui lui permettrait d’être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), et donc de bénéficier d’un hébergement et d’un accompagnement. Il a déposé un recours mais n’espère plus.

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    L’école comme refuge

    Morgane, coordinatrice à l’association, sait l’importance de cette école, qui fait aussi office de sas d’entrée, une sorte de pré-scolarisation avant de rejoindre l’école pour de vrai, pour ces enfants au parcours chaotique. Tous les jeunes accompagnés par Droit à l’École sont en attente de reconnaissance de leur minorité ou en voie de recours. Aucun n’a une solution d’hébergement stable et pérenne. Morgane promet :

    « Droit à l’École, c’est aussi un lieu où ils reprennent confiance »

    Cela permet aussi, selon elle, d’éviter les décrochages scolaires. « On ne devrait pas exister, on fait le travail de l’État », répète en boucle Alina, bénévole au sein de l’association, qui compte seulement deux salariés, et une liste d’attente de 250 jeunes.

    « Tous les jeunes reconnus mineurs ou non, devraient pouvoir être scolarisés et hébergés. »

    L’association demande l’ouverture de guichets dédiés pour l’inscription des jeunes mineurs non accompagnés à l’école, l’ouverture de plus classes d’accueil UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants), et demande que les mineurs non accompagnés – reconnus mineurs ou en recours – bénéficient tous d’un hébergement et d’un accompagnement.

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    La pression du titre de séjour

    Moussa, lui, a fini Droit à l’École il y a un an. Comme beaucoup d’anciens, il repasse régulièrement dans les locaux de l’association. Pris en charge par l’ASE, le jeune garçon sera dans quelques jours majeur. Il vient tout juste de signer son contrat jeune majeur, un dispositif qui permet aux jeunes d’être accompagnés après leur majorité jusqu’à leurs 21 ans. Après une première année de CAP électricité, il termine son apprentissage en septembre. S’il déclare être fier de son parcours, Moussa garde toujours une petite déception au fond de lui.

    Le jeune garçon, adepte de foot mais aussi des mathématiques et de physique, aurait aimé faire un bac général et poursuivre des études dans le domaine de la finance. Il a dû revoir ses exigences à la baisse.
    Alors qu’il consulte les « fiches métiers » mises à disposition par l’association pour choisir sa future formation, il comprend que la finance, ça ne sera pas possible. Il raconte : « Je tourne les feuilles une à une et là, je tourne la dernière feuille et j’ai dit : “Je crois qu’il manque des métiers, il n’y a pas ce que je veux faire !” », s’exclame-t-il en riant. « Puis, on m’a expliqué ce que je pouvais faire et ne pas faire. »

    Bientôt majeur, il a besoin d’un titre de séjour à ses 18 ans s’il veut pouvoir rester en France. Pour l’obtenir, il doit pouvoir présenter dans l’année de ses 18 et 19 ans maximum, au moins six mois de formation professionnelle. Les études supérieures, comme l’université, ne le permettent pas. « Forcément j’étais un peu dégoûté, ce n’est pas vraiment ce que je voulais. »

    Il laisse ses ambitions de côté et choisit finalement le métier d’électricien. « Je me suis dit que ça me permettrait de continuer un peu les sciences », raconte-t-il. Si tout se passe bien, il pourra bientôt obtenir son titre de séjour. Une fois ce document en poche, il espère retourner voir ses parents en Côte d’Ivoire. Il ne les a pas vus depuis plus de trois ans.

    L’association estime entre six mois et deux ans le temps d’attente pour que ces jeunes mineurs isolés soient scolarisés. « Je ne pensais pas y arriver », lance Kanty, qui doit rentrer au lycée ce mardi 5 septembre 2023. Il sait déjà qu’il aimerait être plombier. Cette fois-ci, il assure ne pas être stressé : « J’ai juste envie d’y aller. » Reste une inquiétude : le logement. Kanty dort toujours dans la rue :

    « Parfois c’est compliqué quand on a des exercices à faire le soir. Je ne demande pas grand-chose, juste un couloir ou un endroit où dormir tranquillement, et faire mes révisions, c’est tout. »

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    (1) Le prénom a été changé.

    Reportage et photo de Une de Clara Monnoyeur.

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