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    27/06/2022

    La consigne illégale vient de la préfecture

    Dans le Pas-de-Calais, les enfants exilés sont interdits d’école

    Par Jérémie Rochas , Caroline Varon

    Dans plusieurs centres d’hébergement du Pas-de-Calais, les familles d’exilés ont interdiction d’inscrire leurs enfants à l’école. Selon plusieurs témoignages et enregistrements, la consigne illégale vient de la préfecture.

    Soizic (1) a été la première à lancer l’alerte. En 2018, cette maîtresse de maison de 52 ans est recrutée par l’association la Vie active pour travailler au Centre d’Accueil et d’Examen des Situation (CAES) de Nedonchel (62). Dans cette structure chargée de l’hébergement et de l’accompagnement social de personnes souhaitant demander l’asile en France, elle s’occupe des tâches de la vie quotidienne : cuisine, ménage… Comme la majorité des salariés de l’équipe, elle n’a pas de formation adaptée. « Quand je suis arrivée, certaines familles étaient là depuis un an. Les enfants n’avaient jamais été scolarisés. Quand j’ai posé la question, on m’a répondu que c’était une demande de la préfecture », se souvient l’ancienne salariée. Très vite, Soizic constate des conditions d’accueil indignes. Face à une direction impassible, elle décide de mobiliser ses proches et des associations extérieures pour venir en aide aux familles souvent dépourvues de matériel de première nécessité. « Tu respectes les règles ou tu t’en vas ! », la menace un jour Thierry D., chef de service de la Vie active. Pour Soizic, les intentions de la préfecture et de l’association ne font aucun doute :

    « Empêcher la scolarité des enfants, c’est empêcher la régularisation des familles, et éviter que les familles ne restent dans les villes ».

    En 2020, submergée par le stress, Soizic craque. « Je me suis réveillée un matin aveugle d’un œil et le poignet paralysé. Je voulais continuer à travailler, mais mon médecin m’a mis en arrêt pendant trois mois ». Elle finira par démissionner et quitter la région, « dégoutée » par les pratiques de la Vie active. Elle contactera l’Inspection du travail plusieurs mois après son départ pour obtenir ses indemnités de fin de contrat que la Vie active refuse de lui remettre. Suite à ses alertes, plusieurs associations enquêteront collectivement sur les conditions de vie en CAES. Les constats sont accablants, il est notamment question de malnutrition et d’entraves volontaires à la scolarisation des enfants. Le Défenseur des Droits est saisi à plusieurs reprises dès 2019. StreetPress s’est également procuré un enregistrement, publié ci-dessous, qui témoigne d’une interdiction pour les exilés d’inscrire leurs enfants à l’école, pourtant obligatoire. Une consigne illégale qui vient de la préfecture.

    Selon nos informations, entre 2018 et 2021, plusieurs dizaines de familles avec enfants auraient subi cette pratique. Des familles racontent avoir même subi des représailles de la part de l’association la Vie active pour avoir contourné la règle. Ces faits se seraient déroulés dans au moins trois centres d’hébergement gérés par l’association : les CAES de Nedonchel et Saint-Venant, ainsi que le CHRS de Béthune. Les CAES ont été créés en 2017 à titre expérimental et sont financés en partie par le gouvernement britannique, en collaboration avec la France dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine. Ces structures ont donc une double fonction, répressive et humanitaire. Toutes les 48 heures, les campements situés autour de Calais sont expulsés et leurs habitants fortement encouragés par les forces de l’ordre d’entrer dans les bus en direction des CAES sous menace d’être interpellés par la Police Aux Frontières. Les personnes exilées sont censées avoir la possibilité de préparer leurs demandes d’asile en quinze jours avant un transfert dans une autre structure, mais des familles y restent plusieurs mois, voire des années.

    À LIRE AUSSI : À Calais, les réfugiés sont chassés la nuit et traqués le jour

    École prohibée

    « Je ne peux pas porter plainte car j’ai peur, je ne suis pas légale en France et je connais leur pouvoir, ils peuvent faire beaucoup de choses », soupire Nadia (1). Deux ans après les faits, la demandeuse d’asile a accepté de témoigner, mais craint toujours de subir les foudres de la préfecture du Pas-de-Calais. Cette quadragénaire serait arrivée au CAES de Nédonchel en mai 2020, accompagnée de son mari et de ses trois enfants. Elle y serait restée jusqu’à la fin du mois d’août 2020. La rentrée scolaire approchant, elle aurait sollicité les travailleurs sociaux pour inscrire ses enfants à l’école. « Ils me répétaient tout le temps qu’il n’y avait pas d’école à Nedonchel », se souvient-elle. Son mari est hospitalisé en psychiatrie. Nadia s’occupe seule de ses enfants dans ce centre principalement occupé par des hommes. Elle aurait finalement été orientée vers le CHRS féminin de Béthune à la fin de l’été.

    Dès son arrivée au CHRS, la référente sociale aurait donné le ton. « Vous n’avez pas le droit d’inscrire vos enfants à l’école, vous êtes demandeur d’asile ». Dans un appartement voisin, une famille serait hébergée depuis deux ans et demi et les enfants n’auraient jamais été scolarisés. Quand Nadia insiste auprès de l’équipe de travailleurs sociaux, les menaces seraient toujours les mêmes :

    « Si vous inscrivez vos enfants à l’école, vous n’aurez pas de logement par l’OFII, vous n’aurez pas les papiers de la part de la préfecture ».

    Nadia aurait refusé cette consigne qu’elle sait illégale et aurait décidé de se rendre seule en mairie. Elle aurait été convoquée le jour même par sa référente sociale. « Tu vas avoir beaucoup de problèmes. Le préfet peut vous mettre à l’extérieur du foyer. Ils peuvent vous expulser », aurait prévenu la travailleuse sociale. Les représailles ne se seraient pas fait attendre. Le soir venu, sur le grand tableau situé dans la salle de restauration collective aurait été inscrit son nom de famille suivi de la mention « Pas de pack d’eau ».

    Pour Nadia, c’est une humiliation insupportable. Elle aurait demandé à voir la responsable du centre qui aurait aussitôt effacé le tableau de peur que Nadia ne dénonce ces pratiques à l’extérieur du centre. Dès lors, la famille de Nadia aurait également été privée du kit d’hygiène distribué chaque semaine aux résidents comme le prévoit le contrat de séjour. Sur le planning de ménage, son nom serait apparu deux fois plus que les autres. Les travailleurs sociaux l’auraient ignoré, auraient décalé des rendez-vous, et refusé de l’accompagner sur la préparation de sa demande d’asile. Quelques semaines plus tard, elle aurait été mise à l’écart du reste des familles dans un appartement en dehors du centre. « Ils avaient peur de la révolte des autres familles. Je devais passer par une autre porte pour aller chercher mon courrier. Je n’avais pas le droit d’inviter des gens dans l’appartement », relate Nadia. Elle y serait restée 15 jours avant d’être transférée dans un centre d’une autre ville. Selon la demandeuse d’asile, le traitement qui leur a été réservé depuis leur arrivée à Nédonchel a aggravé l’état de santé de son mari, encore hospitalisé en psychiatrie à l’heure actuelle.

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    Entre 2018 et 2021, plusieurs dizaines de familles avec enfants auraient été interdites d’inscrire leurs enfants à l’école, pourtant obligatoire. Des familles racontent avoir subi des représailles de la part de l’association la Vie active pour avoir contourné la règle. / Crédits : Caroline Varon

    « Un système punitif »

    Jusqu’en 2020, plusieurs associations étaient autorisées à mener des actions éducatives en direction des enfants des CAES à condition « de ne rien divulguer de ce qu’il a entendu de l’usager, de sa famille, et des professionnels ». Ces partenariats seront finalement rompus par la Vie active en mars 2020, sous prétexte de la crise sanitaire. Pour Léo, coordinatrice associative entre 2020 et 2021, il s’agissait plutôt « d’une bonne excuse », pour éviter les regards extérieurs. À l’heure actuelle, les contacts entre l’équipe du CAES et les associations extérieures sont « absentes ou médiocres ». La coordinatrice avait l’habitude de rencontrer de nombreuses familles de retour à Calais après quelques jours d’hébergement en CAES, inquiètes pour la santé de leurs enfants qui n’avaient pas eu la possibilité d’aller à l’école. « Il y a un système punitif qui a l’air d’être mise en place à l’intérieur. Nous avons des retours de familles qui nous expliquent que lorsqu’une règle n’est pas respectée, elles n’ont, par exemple, pas le droit de reprendre de la nourriture à la cantine. Il y a vraiment un système infantilisant », explique Léo.

    Leila (1) aurait elle aussi été la victime de ce système punitif mise en place par la Vie active. Elle aurait d’abord été accueillie avec sa famille au CAES de Nedonchel en juin 2020 puis réorientée au CHRS de Béthune trois mois plus tard. Agée de 17 ans au moment des faits, elle relate le même système d’entrave à la scolarité. À Nédonchel, les salariés de la Vie active auraient « catégoriquement » refusé d’aider les parents de Leila à inscrire leurs enfants à l’école. Dans le centre, elle aurait fait la rencontre de familles hébergées depuis plusieurs mois dont les enfants ne sont pas scolarisés. Son père, professeur en Tunisie, aurait alors décidé de proposer bénévolement des cours aux enfants du centre. « Mon père a aussi organisé des matchs de foot, il voulait rompre l’isolement des résidents. Aucune activité n’était prévue par le centre », se souvient Leila.

    La famille aurait finalement été réorientée au CHRS de Béthune en septembre. Elle y serait restée plus d’un an. Le comité d’accueil serait le même que celui décrit par Nadia. Dès l’entrée dans le centre, on leur aurait signalé l’interdiction d’inscrire les enfants à l’école. À l’intérieur du foyer, Leila aurait fait la rencontre de dizaines d’enfants déscolarisés, certains adolescents étant même analphabètes. Elle décrit des jeunes « dépressifs », habitués à ne rien faire depuis des mois, « qui vivent la nuit et dorment la journée ». Le père de Leila, très attaché à l’éducation de ses enfants, aurait demandé au travailleur social de formaliser à l’écrit cet interdit. Ce dernier aurait refusé. L’ancien professeur aurait donc décidé de scolariser ses enfants malgré les menaces. Le référent social lui aurait alors lancé cette phrase assassine : « D’accord mais vous en subirez les conséquences ». Du jour au lendemain, la famille de Leila serait devenue « personæ non gratæ » dans le centre. « Quand on passait, on ne nous parlait pas, tout simplement. Quand il y avait des évènements organisés, les travailleurs sociaux prévenaient tout le monde sauf les familles ayant inscrit leurs enfants à l’école. On avait plus de tâches collectives que les autres (…) Les familles qui n’ont pas d’enfants scolarisés avaient le droit de cuisiner dans leurs chambres, les autres non ».

    Elle raconte avoir été victime tout au long de son hébergement de préjugés racistes. « C’est votre père qui vous force à mettre un voile ? ». « Est-ce que votre père vous fait du mal ? ». Un jour, alors que Leila a atteint sa majorité, elle sollicite un hébergement près de Lille pour se rapprocher de son université dans laquelle elle vient d’être acceptée. Son référent social s’y serait opposé, mais lui aurait proposé une alternative étrange. « Le seul moyen serait de passer par le juge des enfants. Ce n’est pas possible, à moins que votre père vous ait violé ? ». Pour Leila, cet exemple illustre la décrédibilisation permanente dont seraient victimes les parents dans le centre, et particulièrement « les hommes maghrébins ».

    Des enfants en souffrance

    Fin 2019, une saisine transmise au Défenseur Des Droits par des associations faisait déjà état de négligences graves vis-à-vis de la santé mentale et physique des « 50 à 80 enfants et mineurs accompagnés de leurs parents » hébergés dans le CAES de Nédonchel. « Aucun de ces enfants demandeurs d’asile n’est scolarisé au prétexte que beaucoup sont “dublinés” et donc expulsables », alertent les auteurs de la saisine. « L’isolement du CAES empêche l’accès à des activités, mais des permissions de sortie sont également refusées aux personnes hébergées sans explication », poursuivent les associations. La saisine fait aussi mention du manque d’accès aux soins des enfants :

    « Les enfants n’ont pas de suivi médical de prévention, il n’y a une prise en charge qu’en cas d’urgence (…) Les enfants maigrissent à vue d’œil à partir de leur prise en charge à Nedonchel. »

    Catherine Piecuch est professeure d’allemand au collège de Saint-Venant. Elle est aussi la co-fondatrice de RESF Arras-Lens et représentante du syndicat FSU 59-62. En décembre 2020, elle accueillait dans sa classe un jeune géorgien de 14 ans. L’adolescent était hébergé au CAES de Saint-Venant avec sa famille, situé au beau milieu d’un hôpital psychiatrique. « Ses petits frères et sœurs relevant de la maternelle et de l’élémentaire n’étaient pas scolarisés, ils sont restés des mois enfermés dans une pièce sans accès à une vie sociale et à une scolarisation », déplore la syndicaliste, mobilisée sur la question depuis des années.

    Entre 2018 et 2020, Gaby (1) est intervenue dans le CAES en tant que bénévole associative dans le cadre d’un partenariat avec la Vie active. Elle se souvient avoir été alertée à plusieurs reprises par des comportements inquiétants d’enfants hébergés. Suite à une activité dessin organisée avec les enfants du centre de Saint-Venant, elle échange avec un adolescent qui semblait en grande souffrance psychique et décide de montrer son dessin à une pédopsychiatre extérieure au centre. « Elle m’a dit que le dessin était une indication que l’enfant pourrait être victime d’abus, peut-être d’une manière sexuelle. Ceci était extrêmement préoccupant et j’ai voulu partager cette information avec le centre, pour qu’ils puissent réagir sur la situation », explique la bénévole. Les salariés de la Vie active refusent de proposer un accompagnement psychologique à l’enfant, mais invitent Gaby à une réunion avec les directeurs des CAES de Nédonchel et Saint-Venant. « Au cours de cette réunion, ils ont passé la plupart du temps à me réprimander pour avoir montré le dessin de l’enfant au pédopsychiatre. (…) Le directeur de Nédonchel a aussi longuement expliqué qu’il serait injuste pour les enfants d’aller à l’école et d’être ensuite expulsés et cela sera plus traumatisant pour eux ».

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    Fin 2019, une saisine transmise au Défenseur Des Droits par des associations faisait déjà état de négligences graves vis-à-vis de la santé mentale et physique des « 50 à 80 enfants et mineurs accompagnés de leurs parents » hébergés dans le CAES de Nédonchel. / Crédits : Caroline Varon

    « Des bons soldats »

    Nadia et Leila se souviennent toutes les deux du chef de service. Thierry D. était redouté par les personnes hébergées pour son agressivité. « C’était la plus mauvaise personne que j’ai rencontré dans ma vie. Il menaçait constamment de nous expulser. Il donnait toujours l’exemple d’une famille avec enfants qu’il avait mis dehors en plein hiver », relate Nadia, encore bouleversée. À la sortie d’une réunion avec la mairie de Saint-Venant au sujet de la scolarisation des enfants du CAES, une bénévole de l’association Terre d’errance décide d’appeler Thierry D. et d’enregistrer la conversation. Un entretien que StreetPress s’est procuré. Elle l’interroge sur les raisons du refus de scolarisation des enfants. Dès le début de l’entretien téléphonique, le chef de service s’agace : « C’est une directive du préfet, et moi je ne peux pas aller au-delà de la directive du préfet. (…) Vous pouvez sortir n’importe quel texte de loi que vous voulez, mais moi si le préfet nous dit c’est comme ça, on ne va pas aller au-delà de ce que le préfet demande. (…) On nous demande d’agir comme ça, nous. À ce niveau-là, on est des bons soldats ». Suite à cet appel, Terre d’errance sera interdite d’accès aux CAES.

    En 2020, Abou (1) est hébergé avec sa famille au CAES de Saint-Venant, situé au beau milieu d’un hôpital psychiatrique. Cet homme de nationalité tchétchène aurait été convoqué par le directeur du centre après qu’il ait tenté d’inscrire ses enfants à l’école par l’intermédiaire de la Mairie de Saint-Venant. Dans un enregistrement sonore que StreetPress s’est procuré et placé au début de l’article, on peut y entendre le directeur de l’établissement réprimander le père de famille. « Je suis très déçu car vous êtes allé à la mairie pour demander l’inscription de vos enfants à l’école. Vous savez que ce n’est pas possible, je vous l’ai dit plusieurs fois ». Loin de s’excuser, le directeur tente de se justifier. « Je comprends que vous voulez une bonne vie pour vos enfants. Je peux comprendre ça. Mais les règles du préfet dans ce lieu sont : “personne ne va à l’école avant un transfert !” » Il va, selon ce dernier, jusqu’à lui tirer l’oreille.

    Ensuite, quand Abou exprime ses inquiétudes concernant la santé de ses enfants et son souhait de quitter le centre, le directeur jusque-là paternaliste, change de ton et devient menaçant. « Attention à vous, si vous décidez de partir, vous perdez vos droits (…) Si l’association vous voit dehors, ils peuvent appeler la police et demander à l’Aide Sociale à l’Enfance de protéger vos enfants… sans vous ». En fin d’entretien, il finit par assumer l’illégalité de sa démarche et se repose sur les consignes données par la préfecture. « Je sais que la loi française autorise vos enfants à aller à l’école. Je le sais car je suis travailleur social et je connais la loi. Mais votre situation est spéciale. J’essaie toujours de dire à la préfecture que peut-être, nous pourrions autoriser les personnes en procédure normale à scolariser leurs enfants. La préfecture me répond que si elle accepte pour une famille, une autre famille en procédure Dublin va demander la même chose, et une autre famille sans papier va demander la même chose ».

    Du côté des associations calaisiennes, la Vie active est connue pour le lien étroit qu’elle entretient avec la préfecture du Pas-de-Calais. Il faut dire que depuis 2014, l’association rafle toutes les subventions publiques dédiées aux actions humanitaires que l’État a mis en place à la frontière franco-britannique. Des containers du bidonville à la distribution des repas, de l’accès aux douches à l’ouverture de trois CAES, la Vie active est partout et suit les politiques de l’État sans remise en question éthique. Lorsqu’un arrêté préfectoral interdit la distribution de repas à Calais le 10 septembre 2020, l’association s’aligne sans sourciller. Pour la syndicaliste Catherine Piecuch, l’existence « d’accointances politiques » ne fait aucun doute. « La Vie active joue un jeu très bizarre, ne voulant pas se faire mal voir de la préfecture pour garder le marché ».

    Elle dénonce un jeu gagnant-gagnant et met notamment en avant le rôle ambigu de Jean-Marie Alexandre, devenu en 2012 président du haut conseil de la Vie active après trente années passées en tant que président du conseil d’administration. L’ancien socialiste a une influence certaine dans la région. Député européen pendant sept ans, conseiller du ministre Chevènement, vice-président du conseil régional du Pas-de-Calais, il est encore aujourd’hui maire de la ville de Souchez. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ancien président de la Vie active âgée de 75 ans a encore le bras long. La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique confirme effectivement sur son site l’existence de deux « fonctions bénévoles » occupées par Jean-Marie Alexandre « susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ».

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    Quand une bénévole de l’association Terre d’errance décide d’interroger Thierry D. sur les raisons du refus de scolarisation des enfants, ce dernier répond : « On nous demande d’agir comme ça, nous. À ce niveau-là, on est des bons soldats ». / Crédits : Caroline Varon

    « Un billard à trois bandes »

    « On est persuadé qu’il y a un billard à trois bandes entre la vie active, la préfecture et les maires ». Catherine Piecuch et d’autres membres de RESF ont sollicité à plusieurs reprises le maire de Saint-Venant en lui rappelant ses obligations quant à la scolarisation des enfants résidents dans sa ville, sans succès. « Le maire de Saint-Venant est connu pour être bien de droite, avec des a priori bien nets. Moins d’étrangers sont scolarisés, plus son électorat est content », lance la représentante FSU. Contacté par StreetPress, Monsieur Flajolet, maire de la commune, confirme que la consigne a été donnée par les services de l’État :

    « La question d’une scolarisation à l’école ne se pose pas selon les services de l’État puisque les “étrangers” ne résident pas dans le sens juridique, mais sont hébergés de façon temporaire. Par ailleurs, la “Vie Active” a reçu délégation pour les cours d’intégration selon mes informations. Je dois préciser que j’ai eu deux demandes formulées par des associations, lesquelles sont restées sans suite de la part des services de l’État. »

    Les responsables des groupes scolaires de Nédonchel et Saint-Venant confirment également « n’accueillir aucun enfant migrant » dans leurs établissements.

    Le 11 février 2020, un courrier intersyndical était envoyé à la rectrice de l’académie de Lille sur les difficultés d’accès à la scolarisation pour nombre d’enfants réfugiés hébergés en CAES. Aucune réponse ne fut apportée. Le 16 mars dernier, Catherine Piecuch interpellait directement le comité académique de l’éducation nationale. « La réponse était que tout va bien dans le meilleur des mondes, tout le monde faisait au mieux pour la scolarité, mais que ces personnes en transit n’ont pas le temps de la scolarité ».

    La préfecture du Pas-de-Calais assume les difficultés de scolarisation des enfants qu’elle justifie « par la courte durée de leur séjour ». En revanche, elle nie l’existence de représailles contre les familles ayant inscrit leurs enfants à l’école :

    « Aucune pression ni aucune instruction émanant des services de l’État n’est venue entraver la scolarisation de ces enfants. »

    Elle indique également que des cours de français langue étrangère sont proposés tous les jours dans les CAES, et qu’un « dispositif porté les services de l’État et la Vie active est mis en œuvre pour permettre aux familles qui le souhaitent, et pour qui le passage en CAES constitue une première étape en vue de l’installation en France, de scolariser leurs enfants ». La direction de la Vie active n’a pas souhaité répondre à nos questions.

    À LIRE AUSSI : À Calais, un militant britannique, qui soutient les exilés, est menacé d’expulsion

    (1) Les prénoms ont été changés.

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