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La banderole publiée sur les réseaux sociaux des Natifs, groupuscule héritier de Génération identitaire, s’en prend à la chanteuse Aya Nakamura, alors que les rumeurs de sa participation à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 se multiplient. / Crédits : Capture Twitter-X Natifs
Presque un an après la cérémonie d’ouverture des JO où Aya Nakamura a bien chanté, 13 membres des Natifs doivent être jugés à Paris le 4 juin prochain pour provocation à la haine, à la violence, ou à la discrimination envers une personne en raison de son origine, après une enquête particulièrement poussée, probablement due au contexte très politique des JO.
Parmi eux, se trouvent plusieurs cadres de Génération identitaire, mais aussi une attachée parlementaire du Rassemblement nationale (RN), une militante RN, ou encore le responsable à Paris de Génération Z, l’organisation de jeunesse de Reconquête, le parti d’Éric Zemmour. StreetPress et Mediapart ont pu consulter le dossier.

Presque un an après la cérémonie d’ouverture des JO, 13 membres des Natifs doivent être jugés à Paris le 4 juin prochain pour provocation à la haine, à la violence, ou à la discrimination envers une personne en raison de son origine. / Crédits : Document StreetPress / Mediapart
L’idée sort de la tête d’Antoine Gongora, porte-parole des Natifs, une semaine avant. Sur une conversation Telegram, il évoque « une banderole marrante » à déployer dans un lieu symbolique pour « buzzer », suivie d’un « communiqué sérieux ». Les autres membres de la discussion, tous des cadres des Natifs ou d’Argos, autre groupuscule né des cendres de Génération identitaire, valident l’idée. Dans les jours qui suivent, Antoine Gongora, Benjamin Pamiseux, le porte-parole d’Argos, Grégoire C., Gwereg L.T. et Martin Escard débattent de la formule à peindre sur la banderole, et s’organisent pour le jour J, le tout sous les ordres d’Edouard Michaud, un ancien membre du groupuscule néonazi Zouaves Paris et fils d’un riche homme d’affaires très engagé à l’extrême droite. « Y’a pas moyen Aya, Paris c’est pas Kinshasa », propose Antoine Gongora. « Elle est Malienne hein pas Congolaise, t’sais le bandeur d’Afrique […] mais on peut laisser elle est noire quoi », lui répond Benjamin Pamiseux. Le groupe finit cependant par s’accorder sur le slogan final, et mobilise ses troupes pour le vendredi soir. « On est d’accord, 0 cagoules/caches-cou ou autre truc affreux », questionne Grégoire C.. « Non, non, pourquoi pas des pyjamas du KKK tant qu’on y est ? », appuie Edouard Michaud. « Pas chaud niveau risques ? » s’inquiète Antoine Gongora. « Si y’a pas de flics non », balaye Michaud.

Antoine Gongora, Benjamin Pamiseux, Grégoire C., Gwereg L.T. et Martin Escard débattent de la formule à peindre sur la banderole. / Crédits : Document StreetPress / Mediapart

Sur une conversation Telegram, Antoine Gongora, Benjamin Pamiseux, Grégoire C., Gwereg L.T. et Martin Escard s’organisent pour le jour J. / Crédits : Document StreetPress / Mediapart
Une attachée parlementaire RN à la com’
Avec cette banderole, les Natifs espéraient « buzzer ». Benjamin Pamiseux a invité personnellement David Alaime, qui travaille pour les médias d’extrême droite Occidentis et Frontières, à couvrir l’action. Le 9 mars 2024, tous se disent satisfaits de leur action, malgré quelques couacs. Ils espéraient réussir à déployer leur banderole place de l’Hôtel de Ville, mais ont changé de lieu pour éviter une forte présence policière. Antoine Gongora ajoute une certaine Capucine Colombo au groupe Telegram dédié à la communication pour aller « plus vite ». La jeune femme, alors âgée de 23 ans, est membre de la Cocarde étudiante, syndicat étudiant d’extrême droite, et a aussi effectué un bref passage chez les néofascistes de Luminis, qu’elle a quitté par manque d’adhésion à la doctrine, pour rejoindre les Natifs en octobre 2023. Elle est aussi à l’époque attachée parlementaire pour trois députées Rassemblement national, Monique Griseti, Caroline Colombier et Gisèle Lelouis. StreetPress vous l’avait déjà – partiellement – présentée pour ses saillies anti-IVG il y a quelques mois. Elle a quitté son poste à l’Assemblée nationale le 25 mars dernier. La jeune militante compose un visuel qui tourne sur les réseaux sociaux. « Il y a plein de commentaires en mode “c’est juste raciste” », constate Constance D., militante des Natifs, mais aussi adhérente RN depuis mai 2024. « Ballec ça nous fait des likes », lui répond Antoine Gongora, qui insiste : « Faut les choquer un peu tous. » « Il y a plein d’Africains qui commentent », constate un militant. « C’est bien, ils se sentent concernés », se réjouit Grégoire C.. « Cette action est bien accélérationniste comme il faut », complète Guillaume D., avant d’ajouter :
« Ça ne va pas empêcher Aya de chanter, au contraire, mais ça va forcer tout le monde à prendre position. »
« En tous cas, Capucine fait vraiment des visuels quali et rapide, on a pris 450 abonnés depuis vendredi sur Insta », se félicite Gwereg L.T. le 11 mars 2024.
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Le lendemain, l’équipe commence toutefois à déchanter. Deux députés France insoumise annoncent saisir le procureur de la République, et les cadres identitaires sentent le vent tourner. « Y’a aucun délit elle est Malienne c’est juste une blague de beauf mais rien de pénalement répréhensible », estime Antoine Gongora. « On va se taper la procédure », annonce Edouard Michaud. Le même jour, celui que Gongora et Michaud avaient chargé de la gestion de l’action, Martin Escard, est placé en garde à vue. Il est soupçonné de reconstitution de groupe dissous, en l’occurrence Génération identitaire. Il est, entre autres, président de l’association qui sert d’écran aux Natifs. Lors de la perquisition de son domicile est retrouvée la banderole anti-Aya, qu’il a ramenée chez lui le soir même.

La banderole retrouvée lors de la perquisition chez Martin Escard le 12 mars 2024. / Crédits : Document StreetPress / Mediapart
Le 15 mars, l’annonce tombe : une enquête est ouverte pour incitation à la haine et injure publique. Tous les militants présents sont convoqués à une formation en interne anti-répression d’urgence trois jours plus tard, et Antoine Gongora leur partage le « Guide du manifestant », rédigé par le Syndicat de la Magistrature. « Pour les militants présents nous vous demandons néanmoins de ne rien avoir de compromettant chez vous ou dans vos téléphones même si le risque de perquisition est très faible. » « S’ils arrivent à identifier un responsable de la banderole ou publication réseaux sociaux il faudra batailler pour échapper à la condamnation », estime Edouard Michaud dans un cercle plus restreint, et ajoute : « Faudra bien se tenir en GAV. »

Antoine Gongora partage à son groupe le « Guide du manifestant », rédigé par le Syndicat de la Magistrature. / Crédits : Document StreetPress / Mediapart
Des dizaines de militants identifiés
Les premières perquisitions arrivent quelques mois plus tard, au milieu de la campagne pour les élections législatives anticipées. Six des militants d’extrême droite sont interpellés. Parmi eux, Martin Escard, Benjamin Pamiseux, Stanislas Tyl – depuis promu porte-parole des Natifs –, Constance D. et Grégoire C., qui ont bien appliqué les consignes données en mars. Les perquisitions ne donnent pas grand-chose, et les interrogatoires ou les exploitations de leurs téléphones non plus. Tous nient ou minimisent leur implication dans l’action. C’est celui qui avait transmis les consignes de sécurité qui les trahira : Antoine Gongora, qui était à l’origine du projet, mais absent lors du déploiement de la banderole, n’a pas fait le ménage dans son téléphone. Les enquêteurs en extraient l’intégralité de ses échanges sur Telegram, qui dévoilent l’organisation de l’action, mais aussi du groupuscule entier. Dans ses contacts, des dizaines de militants étiquetés « Natifs », des échanges de préparation des actions précédentes du groupuscule, la gestion de ses réseaux sociaux…
À partir de ces données, une seconde vague de convocations plus large est envoyée à une quinzaine de militants des Natifs le 28 janvier 2025. Parmi eux, se trouvent un certain Thomas Brochant, qui officie comme responsable de la section parisienne de Génération Z, l’organisation de jeunesse de Reconquête, le parti d’Éric Zemmour, sous le pseudonyme Thomas Chambord, ou encore Marine de Cacqueray-Valmenier, la sœur du leader néofasciste multi-condamné Marc de Cacqueray-Valmenier. Ses échanges avec Antoine Gongora démontrent, selon les enquêteurs, son implication dans les Natifs, « puisqu’elle invite plusieurs membres à son mariage et que son mari Louis-Marie Peyret Lacombe sera l’un des noms communiqués à la préfecture de police pour l’organisation de la manifestation des Natifs suite au meurtre de Thomas Perotto. » Elle invite même les militants du groupuscule à un barbecue dans le jardin de ses parents à l’été 2023. En garde à vue, tous gardent le silence, à l’exception d’un, qui raconte avoir quitté les Natifs suite à cette action dont il ne connaissait pas la teneur avant d’y participer. C’est le seul qui ne sera pas jugé ce mercredi 4 juin.
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À une semaine de leur procès, les Natifs ont déployé une autre banderole à Paris le 28 mai dernier : « Astrassi bouffon, les gwers te rémigreront », contre l’humoriste Mustapha El Atrassi, qu’ils accusent de racisme « anti-blanc ». C’est Stanislas Tyl, qui doit comparaître ce mercredi 4 juin, qui s’est prêté au porte-parolat des Natifs au micro de la station de radio d’extrême droite Radio Courtoisie.
Contactés, Gisèle Lelouis, Monique Griseti, Caroline Colombier, Capucine Colombo, Constance D., Thomas Brochand et la fédération parisienne de Reconquête n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
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